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Au fil des mots [fr]

L’amitié franco-allemande. Une page qui se tourne?

Isabelle T. Decourmont

Lorsque le 22 janvier 1963 Adenauer et De Gaulle signaient ce que les Français nomment avec sentimentalité „ Traité d’amitié franco-allemand“ mais qui ne porte en allemand que l’appellation tout à fait factuelle de „Elysée Vertrag“, les deux chefs d‘Etat enterraient  devant le monde entier  la hache de guerre entre leurs deux pays, qui avaient connu trois conflits meurtriers depuis 1870, dont les deux derniers, ceux de 1914 et 1918, avaient dégénéré en un conflit mondial. Il est même imaginable que les germes du premier conflit mondial aient déjà été prévisibles dès 1871 au vu des conséquences de la guerre franco-prussienne de 1870: la défaite française suivie de la proclamation du Reich allemand le 18 janvier 1871 dans les décors illustres du Château de Versailles.

La création de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA,1951) et celle de la Communauté Economique Européenne (CEE,1957) entre la France, le Benelux (Belgique, les Pays Bas, Luxemborg), l’Italie et l’Allemagne de l’Ouest d’avant la réunification, avaient été les premiers gestes forts d’une Europe qui souhaitait se reconstruire, s’unir pour redevenir puissante et influente sur le plan international.

Elle était certes amputée des pays “de l’est” rattachés politiquement et économiquement à l’URSS et de plus dangereusement située géographiquement entre les deux grandes puissances d’alors, les USA et l’URSS, qui s’affrontaient depuis Yalta dans ce qu’on nomma la guerre froide qui aurait pu aboutir à un conflit international et nucléaire, qui ne  fut probablement évité que grâce à la certitude qu’avaient la Maison Blanche et le Kremlin qu’aucun des deux n’était sûr de sortir indemne du conflit, qui de plus pouvait signifier l’anéantissement d’une partie de l’humanité.

Cependant en 1963, alors que la France venait de tourner la page de la décolonisation au lendemain de l’indépendance de l’Algérie précédée de celle de ses colonies africaines et que la France et l’Allemagne signaient un traité historique, l’Europe pouvait espérer ne plus connaître de conflits armés sur son sol.

Le traité franco-allemand permit à l’Allemagne et à la France de coopérer dans le domaine des Relations Internationales et de la Défense et d’organiser des sommets militaires et inter-gouvernementaux.

Le traité permit aux deux peuples de se retrouver et de réveiller une ancienne complicité intellectuelle particulièrement vive au 18ème siècle à l’époque de Frédérique Le Grand et de Voltaire. Elle le fit en favorisant les relations entre la jeunesse des deux pays au travers de la fondation de l’Office Franco-Allemand pour la Jeunesse, l’OFAJ – Deutsch-Französisches Jugendwerk (DFJW), qui permit des échanges entre les écoles et les élèves au travers de séjours linguistiques et culturels et entre les étudiants, qui pouvaient désormais étudier dans les deux pays grâce à l’équivalence des diplômes acquis.

Des villes se lièrent au travers de jumelages, pour exemple Paris l’est avec Berlin, Bordeaux avec Munich, Lyon avec Leipzig, Fontainebleau avec Constance et Bonn, ville de naissance de Beethoven, ne l’est hélas avec aucune grande ville francaise. Seul un de ses quartiers, Bad Godesberg, est jumelé avec Saint Cloud, bourgade au bord de la Seine, face au Bois de Boulogne et dans laquelle se trouve l’Ecole Allemande.

Les projets industriels communs  menèrent à la création d’entreprises au renom international, Airbus étant probablement la plus emblématique.

L’alliance souhaitée par De Gaulle entre les deux pays devait être la clef d’une Europe forte et définitivement indépendante des USA, libérée de l’influence  omniprésente et de la tutelle aussi bien économique que culturelle que ceux-ci imposaient à l’Europe de l’Ouest depuis la victoire des alliés et qui se perpétua même après la fin effective du plan Marshall en 1952.

De Gaulle travaillait à cette indépendance depuis son arrivée au pouvoir. Il avait créé à cet effet sa propre défense, l’arme nucléaire, grâce à quoi la France devint un des cinq pays possédant l’arme atomique et eut un pouvoir de décision au niveau international au travers de son droit de veto à l’ONU aux côtés des USA, de l’URSS, de la Chine et de la Grande Bretagne.

Il put ainsi sortir la France de l’OTAN, puissance militaire de défense de lAtlantique Nord sous commandement américain, créée en 1949, qui se voulait protectrice de l’Europe face à l’URSS et au communisme, mal absolu pour les Etats Unis. Or Il est évident que De Gaulle souhaita que l’Allemagne se mette sous la protection de la France et de sa force de frappe nucléaire et prenne ses distances avec l’OTAN et les USA en faisant totalement corps avec les autres pays européens.

Les USA n’avaient pas conçu le Plan Marshall par pure philantropie, faut-il le préciser. Une Europe affamée et aux abois risquait aux yeux des Américains de tomber dans l’escarcelle du communisme.

Ce fut de plus une juteuse affaire commerciale. Les USA avaient grâce à lui jeté un filet de dépendance sur l’Europe non seulement économiquement au delà des cinq années du prêt, mais  l’emprise demeura par le biais de l’imprégnation idéologique et culturelle qui subsista et des conditions mercantiles inclusives que les pays signataires durent accepter. Par exemple l’obligation d’acheter annuellement un pourcentage de la production cinématographique d’Hollywood, qui se révéla être une concurrence déloyale à la propre production européenne.

Le Plan Marshall devrait donc être nommé Prêt Marshall ou marché de dupes, puisque sur un total de 16 milliards de $ de l’époque, les 16 des 23 pays qui acceptèrent ce prêt, s’engagèrent à acheter aux USA des biens à hauteur du prêt consenti, en machines, produits agricoles, charbon. Autant dire que l’argent revenait au préteur qui de plus boostait sa production au travers des commandes. Le prêt finança la reconstruction des villes, des ports, des infrastructures, la réindustrialisation et l’agriculture des pays ravagés par la guerre. Détruits par les bombardements et les tirs d’artillerie des Alliés autant que des Allemands.

L‘Allemagne, un champ de ruines. Dresde, la Florence du Nord, ville hôpital, remplie de réfugiés, disparue elle et ses habitants sous les bombes incendiaires. Berlin. Breslau. Hamburg. Toutes réduites en cendres. Feuersturm, bombes explosives, à retardement. Des centaines de milliers de civils tués par les aviations anglaises et américaines. Le reste de l’Allemagne n’avait guère meilleure allure. Ce sont les populations qui payèrent le plus lourd tribut. Le nord de la France, de la Normandie à l’Alsace, fut ravagé par l’avancée des troupes d’Outre Atlantique.

Les traités sont là pour panser les plaies du passé. Mais les morts n’ont pas de plaies à panser. Qu’un destin d’humus.

L’objectif principal du traité franco-allemand était de nouer une alliance étroite entre les deux pays et d’offrir la force de frappe de la France comme protection alternative à celle de l’OTAN. Cela aurait permis de construire un bloc européen indépendant à la fois des États-Unis et de l’Union soviétique qui pour la France avait commencé avec la création de grands projets technologiques et industriels: Commissariat à l’énergie atomique, Centre national d’études spatiales, construction aéronautique et de l’électronique professionnelle avec les marchés de la Délégation générale pour l’armement, importations de pétrole devenues monopole de l’Etat, attribution de crédits publics à la recherche. Le choc pétrolier mit hélas fin à la période prospère de la France qui ne sut soutenir sa politique industrielle et se restructurer comme l’Allemagne sut le faire si judicieusement.

Mais on peut douter de la volonté de l’Allemagne dès le début de se joindre à ce projet au vu du préambule au traité qu’elle imposa à la France:

“ La volonté de diriger l’application de ce traité vers les principaux buts qu’elle (la RFA) poursuit depuis des années:

– le maintien et le renforcement de l’Alliance entre l’Europe et les États-Unis d’Amérique,

– la défense commune dans le cadre de l’Alliance de l’Atlantique nord,

– l’abaissement des barrières douanières entre la Communauté économique européenne, la Grande-Bretagne et les États-Unis d’Amérique.

Les USA y sont omnis présents. Ne dit-on pas qu’un Américain est un Allemand parlant anglais. Il suffit de regarder les patronymes outre-Atlantique pour comprendre que la diaspora qui s’y installa, de loin la plus nombreuse parmi les immigrants, fut le meilleur lien économique et social entre les deux pays et le demeure.

Même Airbus, le fleuron industriel européen, n’est peut-être pas la réussite franco-allemande que l’on avait imaginée.

Alors que Dr. Rainer Ohler, vice-président de EADS, déclarait lors du jubilée des cinquante ans  de Airbus le 29. Mai 2019:

« La création d’Airbus poursuivait trois objectifs, mettre un terme à la situation monopolistique des Etats-Unis dans le monde du transport aérien, réduire la dépendance technologique de l’Europe et démocratiser ce mode de transport. 50 ans après, ces trois objectifs ont été remplis », Markus Kerber, de l’Institut de stratégie de la défense et de géopolitique à Berlin déclarait  la fin du système « à double commande franco-allemande”. Pire encore, Henrik Uterwedde, économiste, affirmait que le modèle EADS était «désormais un vestige de la situation politique passée».

Alors que penser à l’annonce de la commande par A. Merkel d’une commande de cinq avions de patrouille maritime à Boeing en ce mois de mars 2021 et ce pour un milliard sept de $, au lieu d’attendre que l’avion franco-allemand ne soit prêt?

Acheter aux USA ce que l’on produit soi-même est un soutien discutable de l’industrie franco allemande. A moins que l’Allemagne n’ait voulu calmer les Américains, fous de rage que le gouvernement allemand s’approvisionne en gaz russe au travers de Nordstream 2 dont les USA  ont essayé, en vain, d’empêcher la construction.

Ce  n’est pas le premier contrat rompu par l’Allemagne, comme le montrent le retrait allemand du projet de moteur de recherche internet «Quaero» et le blocage d’un «EADS de la construction navale».

Les Francais ne cessent de répéter depuis 50 ans que la France et l’Allemagne sont les deux piliers de l’Europe, mais ils semblent être les seuls à le proclamer, à le souhaiter et à le penser.

Les attentes face à la coopération franco-allemande ne sont pas les mêmes de chaque côté du Rhin. Sans le soutien financier allemand les projets ne pourraient être réalisés par la France seule, mais sans les doubles domaines de compétence ils ne pourraient aboutir. L’Allemagne,habile statège, voudrait maximiser sa production industrielle et profiter d’un transfert de compétences, ce que Dassault, par exemple, a toujours refuse. Une fois encore, alors qu’un prototype d’avion devait être mis bientôt en chantier, la chancelière demanda à ce qu’il soit construit en Bavière. Dassault refusa. Il sera conçu en France.

Déjà dans les années soixante alors que les deux pays voulaient construire ensemble un avion de combat, le projet échoua car Dassault avait refusé un transfert de compétences aux ingéniuers allemands. L’Allemagne jeta l’éponge, acheta des F35 aux Américains. Dassault construisit seul son Rafale, qui s’avére bien supérieur au F35 et moins cher.

Il est regrettable que Siemens et Alsthom n’aient pu fusionner mais cette fois c’est la commission européenne qui fit barrage, au point que l’on peut se demander à qui Frau Vestager a vendu son âme pour sabrer des projets qui renforceraient la puissance industrielle de l’Europe face aux prédateurs américain et chinois.

Nous sommes loin du rêve d’une Europe de l’Atlantique à l’Oural, loin des espoirs sans fin qui suivirent le retour d’une grande Europe qu’aucun mur ne morcelait plus. L’Europe a commencé à se fissurer le jour où l’aviation américaine bombarda Belgrade.

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