
Isabelle T. Decourmont
Le dernier projet de loi dont on parle, qui devrait s’appeler loi contre les séparatismes, une loi de plus sur la laïcité qui n’ose dire son nom, n’a fait que raviver les tensions au sein de la société française.
Le Président Macron, croyant régler définitivement les problèmes sociétaux liés, dit-on, aux affrontements dus à une nouvelle guerre entre les religions, affirme dans un discours tenu en novembre 2020 que : « Le problème n’est pas la laïcité. La laïcité, c’est la liberté de croire ou de ne pas croire, la possibilité d’exercer son culte à partir du moment où l’ordre public est assuré. La laïcité, c’est la neutralité de l’État et en aucun cas l’effacement des religions dans l’espace public. »
Nous aimerions croire que la laïcité à la française n’est pas un problème.
Nous aimerions lui demander si la législation actuelle sur l’immigration ne favorise pas les séparatismes.
Même entre laïcards, on s’étripe.
Laïcards : l’inquisiteur des vingtième et vingt et unième siècles contre le phénomène religieux.
Rengaine du siècle, qu’évoquait déjà Du Bos racontant un entretien avec Gide dans son journal de 1926 : « Il me dit, « Oui, mais cela, c’est mystique », avec la nuance de blâme qu’il attache toujours à ce mot, et témoignant ainsi de cet arrière-fond dressé contre le religieux, de ce que Gide appelle chez lui le côté anticlérical ».
Mystique et blâme, deux mots clef de la querelle.
On peut se demander si la manière dont fut conduite la mise en œuvre de la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat en 1905 n’est pas le talon d’Achille de la société française, l’épine dans le pied qui l’empêche d’avancer. Cela ne ressemblerait-il pas à la tentative d’élimination de l’espace non seulement public mais aussi privé, donc de l’inconscient collectif, de ce qui avait construit la France.
Non seulement des concepts devenaient proscrits mais des contenus renvoyant à des expériences à valeur morale, spirituelle, sociétale étaient balayés, arrachés, privés de tout sens et de toute référence. Le sacré était officiellement déclaré désacralisé.
D’autres lois s’ajouteront à la première. Celle de mars 2004 qui proscrit les signes religieux ostensibles dans l’espace public, dont le port du voile, visibilité de la religion de l’Islam, revendiqué par une part grandissante des Musulmanes. A moins que le hidjab ne leur soit imposé par l’autorité tyrannique de membres de leur famille, ce qui pour les adversaires du voile justifierait la loi qui soustrairait ainsi les femmes à des contraintes aliénant leur liberté de choix de vie.
En effet la structure de la société française a été profondément modifiée au cours du 20ème siècle. En particulier à la suite de la décolonisation alors que les habitants des pays du Maghreb et d’Afrique sub-saharienne, désormais libres, émigraient en masse vers l’ancien pays colonisateur. Parmi ces populations une part majoritaire est musulmane. Les lois sur la laïcité ont du être adaptées au nouveau profil sociologique de la population.
Curieusement, les contraintes de la loi imposées désormais non seulement aux Chrétiens mais aux Musulmans, sont dénoncées comme une atteinte à la liberté de ces derniers alors que celles imposées aux catholiques sont approuvées par ces mêmes dénonciateurs, telle la nouvelle interdiction des crèches dans les mairies ou sur l’espace public. Dès 1905, la croix disparut des salles de classe des écoles privées chrétiennes, les processions de la fête Dieu, de la Saint Martin, du 15 août furent interdites, elles qui ne semblent pas troubler l’ordre public à l’étranger, en Allemagne, par exemple, où enfants et adultes ont encore la chance de pouvoir y participer.
Le mot laïcité à la française a sans aucun doute besoin d’être expliqué dans son contexte historique, aux lecteurs qui ne connaitraient pas les conflits entre le temporel et le spirituel dans une République Française qui s’est constituée dans les dernières années du 18ème siècle, pendant la Grande Révolution, en décapitant la monarchie de droit divin, en en trucidant ses partisans et les membres du clergé, en vendant les biens de l’église après les avoir nationalisés en 1790.
La question religieuse est celle qui empoisonna la dernière décennie du 18ème siècle. Quand Napoléon Bonaparte arriva au pouvoir, il se réappropria avec beaucoup de lucidité et d’intelligence politique ce qui lui paraissait avoir été efficace dans la politique, la législation et l’administration pré-révolutionnaires. C’est-à-dire monarchiques. C’est ainsi qu’il considérait que la religion était un facteur de stabilité de l’Etat. C’est le fait de Napoléon que judaïsme et protestantisme trouvent définitivement leur place comme religions reconnues aux côtés du catholicisme, religion des Rois de France. La France alors nommée fille ainée de l’Eglise. Il en résultera les lois sur le Concordat avec Rome, justement abolies lors de la loi sur la laïcité promulguée en 1905 sauf en Alsace Lorraine, alors sous occupation allemande.
Ce rapide survol de l’histoire nous rappelle, si nous devions l’avoir oublié ou si nous le mettions en doute, que le passé de la France est chrétien et ce depuis l’aube du premier millénaire. Les institutions monastiques façonnèrent son fondamental culturel dès le Haut Moyen Age, soit entre les cinquième et douzième siècles.
Les fondements de la culture sous tous ses aspects furent alors mis en place, que ce soit l’enseignement car la période fut déterminante pour la transmission du savoir et le système éducatif, l’agriculture au travers de la mise en valeur du territoire dévasté par les grandes invasions qui avaient suivies la disparition des institutions romaines.
Les artisans de ce renouveau sont en particulier les Cisterciens et ce à travers toute l’Europe, eux qui amélioreront par croisement les espèces animales et végétales, développeront le labour profond et l’assolement triennal, feront reculer la jachère. Période de développement des arts qui ne faisaient qu’un avec l’artisanat, différentiation lexicale tardive d’une même pratique, car l’artifex, le créateur ne connaissait pas avant la Renaissance l’art pour l’art mais dans le sens de la technè grecque, art était métier et savoir, et le créateur était le médiateur qui se mettait au service du spirituel aussi bien que des codes moraux et sociaux.
Dès l’époque carolingienne, la puissance économique des monastères dominera la société féodale et leur vitalité intellectuelle et spirituelle favorisera la renaissance de la culture antique, la transmission du savoir, de la grammaire à la musique en passant par l’astronomie ou les mathématiques, la lecture des ouvrages antiques, la copie de manuscrits, la constitution de vastes bibliothèques. C’est aussi la période de la création d’un latin médiéval qui pendant des siècles sera la langue de communication des lettrés à travers tout ce que nous nommons Europe depuis la Renaissance mais qui au douzième siècle dans les livres en latin était nommée christianitas ou respublica christiana, territoire plus ouvert aux échanges culturels qu’il ne le fut jamais par la suite.
Que des médias et des intellectuels déclarent que la France n’est pas un pays chrétien, n’est que le révélateur de l’inculture de la mal nommée intelligentsia française auto-proclamée.
Pourquoi en sommes nous arrivés là ? A devoir défendre son pré carré, alors que la loi avait déjà fait table rase de tout un passé, que par mépris ou ignorance, les élites s’étaient acharné à en déstructurer ce qui en restait et les intellectuels avaient veillé à saper la transmission du savoir, de la base du système éducatif à son sommet.
Qu’avait alors la France à transmettre, à offrir, à montrer à ceux qui arrivaient chez elle : des clowns qui se voyaient présidents de la République et que le bon peuple trouvait drôles, des experts en tous genres surtout en pataquès. De fait, même sa langue avait été transformée en un verbiage inintelligible. Le français, la langue des élites européennes jusqu’au traité de Versailles, qui la parle encore?
Qu’en est-il de sa langue qui s’effrite, d’une littérature classique qu’elle ne lit plus et qu’elle a troquée contre « à plus, la meuf », parler jeune, parler cités. De lycéens à 800 mots, 1600 mots pour les meilleurs, alors que dans les lycées d’un pays étranger que je ne nommerai pas, les élèves ayant choisi le français en matière principale ont au programme Madame Bovary de Gustave Flaubert.
Quel adolescent français de 17 ans est encore capable de lire et de comprendre ce texte ?
Quel adolescent français lit ce texte ?
Peut-être est-ce parce que la France au travers du dédain des élites pour le passé de leur pays et de l’effacement des valeurs, n’a plus de passé et ne peut rien offrir à celui qui arrive chez elle, ayant elle-même vider la maison de ce qui pourrait présenter un attrait pour l’autre, excluant par là même la possibilité de créer des liens entre elle et lui, de défendre des valeurs, une histoire dont elle serait fière et qu’elle pourrait raconter, non pas en disant à cet autre, ceci est votre histoire et vous devez l’apprendre comme étant votre, mais voilà mon histoire que je vais vous conter, je vous l’offre en partage.
Quand on n’aime plus son pays comment peut-on le faire aimer aux nouveaux-venus !
Voyons la différence entre la politique d’intégration vis à vis des populations émigrées des pays anglo-saxons et la politique d’assimilation de la France, qui certes changea d’appellation et devint d’intégration puis d’insertion, évolution de plus en plus diluée du concept qui devait permettre une harmonieuse cohabitation entre les Français et ceux qui immigrent.
Pour le Haut Conseil à l’Intégration, celle-ci serait « un processus dynamique et inscrit dans le temps d’adaptation à notre société de l’étranger qui a l’intention d’y vivre [postulant], la participation des différences à un projet commun et non, comme l’assimilation, leur suppression ou, à l’inverse, comme l’insertion, la garantie protectrice de leur pérennisation. »
Or de l’étranger, l’Etat n’attend en fait rien et surtout pas d’intégration. D’où les tensions de plus en plus vives entre autochtones et gens venus d’ailleurs, pour utiliser une périphrase dans un monde où il faut se méfier des mots qui pourraient blesser un des six milliards d’habitants de cette planète et vous renvoyer devant la Cour pénale des Droits de l’Homme.
Au vu de cette politique à variable aléatoire, il n’est pas étonnant de constater qu’il y a de plus d’émigrés et descendants d’émigrés ne maitrisant pas la langue en France et même la maitrisant de moins en moins au fil des générations malgré l’école obligatoire dès 3 ans, que d’enfants d’émigrés ne maitrisant pas l’allemand en Allemagne, car l’apprentissage de la langue allemande est obligatoire pour tout étranger venant vivre en Allemagne, alors que le port du voile pour les musulmanes ou les habitudes religieuses ou nutritionnelles y sont laissés à l’appréciation de chacun. Intégrer se limitant dans les pays germaniques et anglo-saxons à faire de l’étranger un citoyen qui respecte le pays d’accueil et le manifeste, obéit aux lois, en parle la langue. Le reste, croyances, coutumes, nourriture, prénom est du domaine privé et le demeure. La France semble donc faire les mauvais choix dans sa politique d’émigration qui ne suscite que tensions, reproches, séparatisme et radicalisation religieuse.
Le navire qui part à vau l’eau à deux ballasts à passer par-dessus bord, sa laïcité et sa politique d’immigration, quelques écuries d’Augias à nettoyer ou pour rester dans la terminologie nautique, à nettoyer la cale de certains ministères.
Barrès écrivit dans ses Cahiers : « La civilisation est un trésor lentement formé, c’est un legs ».
Les deux caractéristiques de notre Occident chrétien.