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Au fil des mots [fr]

Votre terre est si belle, elle a besoin de vous 

Isabelle T. Decourmont

Derrière des bureaux de quelque administration occidentale des personnages influents distribuèrent des bons points ou des taloches, au gré des intérêts du moment, désignèrent les hommes à abattre et à remplacer par leur marionnette. On était à la fin des années 80.

Commença alors la campagne de dénonciation, d’accusation, de délation. Vraies ou fausses accusations, la question n’était pas là, comme chacun sait, qui veut noyer son chien, l’accuse de la rage.

Décapiter et revisser une autre tête sur le corps d’une nation, une tête qui plaise, celle qui fera oui quand on le lui demandera et non quand on le lui ordonnera, leur sembla un jeu d’enfants. Mais la réalité fut autre.

Histoire d’un massacre annoncé.

Une préparation très antérieure au déclenchement du conflit par les Etats Unis, prépara l’intervention militaire de 1990 au Moyen-Orient.

Un traquenard fut tendu au président irakien en l’encourageant à envahir le Koweït, ce qui donnait aux USA un alibi pour envahir l’Irak, éliminer ce président qui commençait à montrer des velléités de politique indépendante vis-à-vis des USA et semblait vouloir favoriser des liens économiques et stratégiques avec l’Europe, plaidait pour une hausse du prix du baril de pétrole. On amener des troupes dans la péninsule arabique et le jour J, des ordres furent donnés par le Capitole, des B52  arrosèrent le paysage, une invasion massive de l’Irak par des troupes au sol et une chasse à l’homme contre le président termina la première partie du plan.

Sans l’ombre d’un procès pendaison manu militari du président Sadam Hussein, suivie d’une condamnation à mort de Tarek Aziz, son Ministre des Affaires Etrangères et de tout le personnel politique qui put être arrêté.

Désagrégation des structures politiques, économiques, fonctionnelles, stratégiques, militaires, administratives, familiales d’un pays prospère dans lequel le peuple vivait bien avant la guerre et qui entretenait des relations économiques et diplomatiques importantes avec l’Europe, l’Amérique et l’Asie en tant que membre influent de l’OPEP.

La force explosive qui en désintégrant l’Irak, avait déstabilisé le fragile équilibre de la région, se répandit comme une trainée de poudre des bords de la Méditerranée jusqu’à l’Hindou Kouch à l’est. Cette mèche enflammée embrasa aussi les esprits.

Il suffisait d’une étincelle pour que tout vole en éclats.

Elle fut allumée en Syrie.

Selon le schéma utilisé en Irak, la même stratégie y fut importée. Formation d’opposants au régime, soutenus par une aide efficace tant par l’aide financière de l’étranger, la livraison d’armement, l’action politique pour réveiller les tensions entre les diverses communautés ethniques et religieuses, en dressant certaines contre Assad et diffuser à l’étranger une propagande contre le gouvernement, en créant l’image de l’odieux tyran sanguinaire qui massacrait son peuple, seul responsable des milliers de morts, de la destruction d’une grande partie du pays, de l’incommensurable vague d’émigration qui entrainait la population syrienne vers l’ouest et le nord au-delà des frontières du pays. Ce qui fut tu : le président et son armée luttaient contre les djihadistes et ceux qui leur étaient affiliés à l’intérieur, et parmi lesquels ne se trouvaient pas que des Syriens.

La crainte commença à naître en Europe quand on apprit que de l’Irak, déferlaient sur l’Ouest de la Syrie des troupes appartenant au mouvement djihadiste qui s’était formé dès 1979 en Afghanistan, soutenu par la CIA lorsqu’elle avait armé Al Qaïda contre le gouvernement afghan de Taraki et qui profitait de la  chute de chaque régime anti-islamiste pour occuper  immédiatement le vide qui suit chaque guerre, tout en changeant de nom au fil de ses pérégrinations. L’anéantissement structurel de l’Irak avait créé un appel d’air, de plus la frontière aux marges du désert syrien était facile à franchir.

Daech détruira villes et villages, massacrera les populations qui tenteront de résister. Aucun pays, sauf la Russie, ne se demanda alors s’il ne vaudrait pas mieux lutter contre les djihadistes que contre le gouvernement syrien, seul face à l’Etat Islamique.

2012. Il ne restait plus rien de l’état laïc qu’avait été la République Irakienne sous Sadam Hussein et il y avait péril en la demeure dans l’état laïc, encore gouverné par Assad. De plus il y avait suffisamment d’islamistes fanatiques, rompus aux combats et prêts à se joindre à ce rêve de conquête qui s’appelait la création du nouveau califat, qui voulait régner sur l’ensemble du Moyen Orient ou peut-être plus à l’ouest encore.

Déjà au Pakistan, en Afghanistan, sur la côte des Somalis et bien sûr dans l’ensemble des pays de la péninsule arabique, suffisamment d’hommes étaient prêts à se jeter dans la bataille. Toutes les tendances étaient représentées : Sunnites, Chiites, Wahhabites. Des extrémistes chez lesquels ni le mot dialogue encore moins le mot débat n’avaient droit de citer, le concept lui-même n’existait pas. Il n’y avait que la Loi.

Se croire habiter par Dieu, se croire détenteur de l’unique vérité, peut rendre fou.

D’autres conflits nous ont montré que la couche civilisatrice fond comme neige au soleil quand les conditions nécessaires à la déshumanisation et à l’ensauvagement convergeaient. Alors surgissaient d’on ne sait où, de quelque chaudron diabolique, des animaux dégénérés sans foi, ni loi, ni conscience, des machines à haïr et à massacrer.

Ma question : Qu’a gagné le Moyen Orient à l’agression onusienne ?

Car enfin il faut le dire, ni Sadam Hussein, ni Assad n’ont agressé l’Europe et les Etats-Unis. Ce sont les USA qui avaient désigné l’Irak et quelques autres de « Rogues States », les salauds à rayer de la carte.

Que l’Europe soit la victime indirecte des conflits au proche Orient ou en Afrique, cela importait peu à Messieurs Busch père et fils, Clinton ou Obama. Sur leur continent lointain ils étaient à l’abri de l’invasion migratoire qui suivrait les conflits qu’ils avaient initiés.

Un bombardement franco-anglais de la Lybie fut le dernier acte de la tragédie. Les conditions infâmes de la mise à mort de Kadhafi ne font pas honneur à l’Occident. Tout cela au nom des Droits de l’Homme et de la démocratie. C’est un peu fort. Je croyais que tout être humain avait droit à un procès équitable !

Ma question : Pourquoi après avoir envahi un pays, l’avoir mis à feu et à sang, y avoir subtilement créé de toutes pièces un groupe d’opposants, avoir pendu ou assassiné son chef d’état, la paix et la prospérité ne reviennent-elles pas dans le pays, le peuple ne dit-il pas merci, bravo et le club des démocrates ne compte-t-il pas un membre de plus ?

Ma réponse : Cela ne fonctionne pas. Cela n’a jamais fonctionné. Ce furent même des désastres. J’entends certains dire : « Comme les gens sont têtus ! Comme ils sont bêtes ! On fait tout pour les rendre heureux et eux ils disent non, ils crachent dans la soupe. Qu’ils prennent exemple sur nous : Ne voient-ils pas comme nous sommes heureux chez nous, comme la séparation des pouvoirs fait, que nos lois sont les meilleures, notre justice la plus juste, notre exécutif le plus habile des décideurs. Chez nous, pas de misère, pas de chômage, pas de criminalité, pas de prisons et de nos écoles remarquables ne sortent que des petits génies non seulement instruits mais cultivés, qui adorent leur pays, admirent leur histoire, respectent les traditions, ne s’adonnent à aucune addiction, ils n’en ont pas besoin, la vie est si belle ici. »

J’exagère ? Vous trouvez ? C’est pourtant ce qu’on a dit aux Irakiens, aux Libyens, aux Syriens, aux Iraniens, aux Egyptiens. Prenez-nous en exemple. Nous allons vous aider à devenir des démocrates.

Mais une fois leurs pays mis à feu et à sang, les infrastructures détruites, les villes bombardées, les prisons ouvertes, les structures sociales et administratives désorganisées, les récoltes anéanties, les champs ravagés, les usines saccagées ou à l’arrêt faute d’ingénieurs et d’ouvriers, à quelle réalité font-ils face : dans le vacuum que la guerre fait surgir, réapparaissent les conflits religieux, ethniques, claniques, politiques, qu’une main de fer avait su calmer. Alors de faux prophètes surgissent, sanguinaires, avides de pouvoir et d’influence, remplis de haine et de rage, qui massacrent ceux en qui ils voient des opposants, aussi bien chez les élites que dans le peuple. Aux horreurs de la guerre infligée de l’extérieur, s’ajoutent celles pires encore des guerres civiles.

Quant aux donneurs de leçons, hommes politiques, hommes de lettres, journalistes, penseurs, philosophes, essayistes, certains, chez nous, persistent à proclamer qu’ils ont la solution. Leur recette : bombarder encore un peu. Quelques bombes de plus et le vilain tyran sera expulsé, car on le voit bien, tout est de sa faute.

Ma question : pourquoi la population dans les années qui précédèrent le début du conflit syrien, c’est-à-dire avant 2011 ne fuyait-elle pas son pays, si celui-ci ressemblait tant à un goulag ? Les frontières étaient pourtant ouvertes. Même question pour l’Irak et la Lybie.

Les noyés échouent sur nos côtes, se pressent à nos frontières. Pourquoi ? Ne leur avait-on pas promis la lune, la démocratie, la liberté, le bonheur, les hamburgers Mac Donald et les parcs Disney, la modernité en un mot

L’heure étant venue pour eux de balayer le passé, la croyance aux traditions, le respect envers les ancêtres, la prévalence de la famille traditionnelle sur la famille recomposée, de leur ouvrir les yeux : leurs gouvernements qui arrêtaient les islamistes (pour les empêcher de nuire avant qu’ils ne renversent le pouvoir ou infusent dans la population le venin de leur idéologie religieuse), étaient en réalité des tyrans. Discours des « associations humanitaires » et des tribunaux internationaux au nom de la violation des droits de l’homme et des lois onusiennes.

Ma question : Faire tabula rasa d’une culture, d’un pays, d’un peuple est-ce la nouvelle conception du droit et du progrès? Quelle amélioration le renversement du régime en place par les Occidentaux a-t-il amenée concrètement au quotidien aux peuples irakien, syrien, libyen ?

Ma réponse : Aucune, mais la désagrégation de  la société, la ruine de l’économie, la guerre des clans, des milliers de morts, l’émigration de la population, la fuite des cerveaux, plus aucun revenu par l’exportation, le retour à un niveau de pays sous développé, des centaines de milliers de destins et de carrières brisés, la pauvreté, la famine, la maladie et en Irak et dans une partie de la Syrie, l’instauration d’un califat qui tua, viola, décapita, tortura la population. Alors que ces pays étaient riches des ressources minières et du sous-sol, de leur industrie, de leur agriculture, de leur culture, de leur savoir et de leur savoir-faire.

N’est-il pas temps de dire aux émigrés qu’il serait plus sage de rentrer au pays, de le reconstruire, de faire le ménage chez eux, de lutter contre les ennemis de la paix, de former ceux qui ressusciteront agriculture, économie, culture, tout ce qui fait le tissu socio-économico-culturel sans lequel aucune société n’est viable et qui était là, AVANT.

Mais les hommes s’enfuient, des hommes jeunes, force vive et portante d’une renaissance. Quand on me dit, mais la vie est invivable là-bas, cela m’amène à rechercher dans l’histoire des exemples de rédemption, quand le peuple lui-même, femmes et hommes unis sont restés et ont reconstruit une nation prospère.

La preuve exemplaire en est l’Allemagne, aujourd’hui première puissance économique d’Europe.

Un tas de pierres informes en 1945, pays vaincu, humilié, ruiné, coupable aux yeux du monde, car les vaincus ont toujours tort, le jugement des vainqueurs englobant la totalité d’un peuple, sans nuance, sans excuse.

Un renouveau est possible, voilà ce que je souhaiterais dire aux populations en fuite. Votre pays a une culture, une histoire, une âme, des traditions, des savoirs, des langues, tout cela se diluera dans l’oubli si vous n’en entretenez le feu, chez vous. Et si ce n’est pour vous, fatigués de trop de souffrances, que ce le soit pour vos descendants. Et pour vos ancêtres qui eux aussi ont lutté pour cette terre où des civilisations admirables se sont succédé.

Il est indécent, il est injuste que l’Europe et les USA s’approprient la classe pensante et les forces de travail de pays qui en sont alors privés. Qui va reconstruire, servir de passeur du savoir, des connaissances, des traditions, de l’histoire ? Qui portera la mémoire, qui enseignera aux enfants, qui leur servira d’exemple et de tuteur, qui reconstruira les infra-structures, qui soignera les malades, qui formera les cadres de l’administration, qui cultivera la terre et fera tourner l’industrie.

En Syrie aujourd’hui, ceux qui y sont demeurés sont épuisés, il leur semble devoir vider la mer avec une petite cuillère. Quand renverrons-nous chez eux les migrants, dans le pays auquel ils appartiennent, là où est leur destin.

C’est toute une culture et un passé qui s’effacent quand la population disparaît. C’est à leurs propres peuples de reconstruire la Syrie, l’Irak, la Lybie. C’est à eux de reprendre les rênes du pouvoir, au peuple de reconquérir sa terre, de la soigner, de faire le ménage sur son sol en en expulsant les indésirables, en y jugeant les criminels. Sans la tutelle moralisatrice de l’Occident.

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