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Au fil des mots [fr]

Une polémique qui monte: le bicentenaire de la mort de Napoléon

Isabelle T. Decourmont

Ce qui fait la différence entre l’histoire et la politique, c’est l’étendue de l’horizon présenté par l’un et l’autre.

Dans le cas de l’histoire,  juché sur le plus haut sommet, le spectateur porte son regard vers l’aval, il y apercoit l’écoulement du temps, la superposition des strates, la géologie des entreprises humaines et leur enchevêtrement. Quant à la politique, une histoire en train de se faire, elle ne peut qu’offrir à l’oeil collé au mauvais bout de la lunette, qu’un instantané, une macro photographie floue d’un détail pris pour l’ensemble, dans laquelle le spectateur est lui-même immergé.

A l’aune de la morale et des lois de notre époque, l’histoire ne peut que demeurer un rébus. D’ailleurs la morale a-t-elle une place dans l’analyse du récit historique ?  L’anthropologue, l’ethnographe ou l’ethnologue n’observent pas les cultures qu’ils étudient en les jugeant mais essaient avec la plus grande impartialité, le moins de projection personnelle, d’en découvrir et d’en comprendre les origines, les récits fondateurs, le développement, le fonctionnement, le modèle, la pensée, les liens sociaux, les influences exogènes. Pour qualifier le travail de ceux-là, Pérec écrivit : « Bien qu’il ne puisse aspirer à rien de plus que de mettre au jour des vérités relatives, l’atteinte d’une vérité dernière étant espoir illusoire. » (Georges Perec, La vie mode d’emploi, Paris, 1978, p.44).

Avant de juger, soyons humbles. La vérité dernière est un espoir illusoire, ainsi que le dit Pérec. Avant de condamner, regardons notre époque : excisions des petites filles, décapitations pour divergence de point de vue ou de religion, femmes et hommes lapidés en place publique par la foule, génocides entre clans, enlèvements et viols d’enfants, mutilations, populations villageoises décimées à la machette, traite d’Africains par les Africains eux-mêmes. Cela ne pose-t-il aucun problème moral aux Indigénistes et aux Black Lives Matter ? L’Afrique contemporaine et certains pays islamistes ne s’en sortent pas mieux que l’homme blanc, l’homme à abattre du moment.

Esclavage indigne dans les siècles passés et traite abjecte de populations africaines arrachées à leur terres pour cultiver les terres du Nouveau-Monde conquises par les Européens. Oui. Mille fois oui. Mais aussi traite des Africains par les Arabo-Musulmans, et la plus importante de toute. Traite de femmes et hommes « blancs » organisés par l’Empire Ottoman du XIV au XVIII ème siècle, nommé Traite de Barbarie. Oui. Evalués à plus d’un million d’individus. Cervantès fut l’un de ces esclaves. Victimes gardés sous le boisseau, oubliés des porte étendards de la « cancel culture ».

Le souvenir des victimes semble ressurgir selon leur couleur de peau. Les concepts aussi. Ne reparle-t-on pas de race en 2021. Race, un mot proscrit il y a quelques lustres, la génétique établissant que le mot n’était pas pertinent pour définir la diversité humaine qui n’était en fait qu’apparente. Il n’y a plus de Noirs. Alors d’où vient l’homme blanc ? Une génération spontanée produite par les indigénistes probablement.

Les myopes de la culture et de la connaissance prétendent juger du passé l’oeil collé à leur lorgnette déformante. Ils bastonnent et déboulonnent. Les USA ont montré l’exemple. L’Europe suit, infectée par le virus de la vengeance aveugle.

Loin des figures de l’aveugle et du paralytique de La Fontaine et de leur belle morale: “ Je marcherai pour vous, vous y verrez pour moi”, à notre époque l’estropié du Temps qu’est l’adepte de l’anachronisme monté sur les épaules du dyslexisque de l’histoire, accouche  du plus risible des avortons, le rejeton de l’ignorance et du préjugé.

A toutes les époques, historiens et historiographes  réécrivirent le passé. Les inscriptions lapidaires furent martelées, les manuscrits détruits pour effacer des mémoires le prédécesseur, les chroniques furent enjolivées pour justifier des crimes et délits perpétrés par le pouvoir afin d’y parvenir ou de s’y maintenir. Il n’est qu’à lire les livres d’histoire des écoliers de la fin du XIXème siècle en France. Tout le XIXème siècle justifia les abominations de la Révolution et de la République en prétendant qu’elles n’étaient que l’élimination justifiée de ses acteurs  et le nécessaire nettoyage à faire d’un passé de dictature, de turpitudes, d’injustices. Les élèves sous la Troisième République, qui profitèret des lois de 1881 et 1882 de Jules Ferry  qui rendaient l’école gratuite et obligatoire pour tous, en soi une chose excellente, subirent l’enseignement d’une histoire de France revue et corrigée. On leur enseigna  que des rois criminels et cruels avaient martyrisé le peuple français pendant quinze siècles et que seule la Révolution avait pu mettre fin à ces injustices, sortir les manants de l’esclavage et de l’arbitraire et apporter le Bonheur, au bon peuple de France. Amen. La messe est dite.

Oh liberté, égalité, fraternité, que de crimes commis en vos noms!

Du tribunal révolutionnaire, de la terreur, du Comité de Salut Public le mal nommé, de l’Europe à feu et à sang, du génocide de la population vendéenne, des noyades de Nantes, des massacres de septembre 1792, rien.

Et pourtant cela fut. L’Anglais Carlyle écrivit dans son ouvrage, “The French Revolution: A History”, Londres ,1837

„Qu’est-ce que c’est donc que cette chose appelée “la Révolution”, qui, comme un ange de mort, plane sur la France, noyant, fusillant, combattant, portant des canons, tannant des peaux humaines? La Révolution n’est qu’un assemblage de lettres, une chose sur laquelle on ne peut mettre la main, qu’on ne peut garder sous clef et serrure. Où est-elle? Quelle est-elle? Elle est cette folie qui siège dans le cœur des hommes.»

Napoléon. Légende dorée. Légende noire.

Des morts dûs aux guerres pendant les années de Napoléon au pouvoir ? Certes. Des guerres de Marengo à Waterloo, mais en réponse à des coalitions de plus en plus menacantes et organisées autour de l’Angleterre comme instigatrice qui auraient anéanti la France et l’auraient dépecé. Il est sans conteste un homme extraordinaire, le plus célèbre aujourd’hui des Français dans le monde, ayant ses fervents admirateurs autant en Russie qu’en Angleterre, en Chine ou en Australie, un homme qui se fit seul, grâce à son intelligence et à son talent et c’est ce qui lui fit autant d’ennemis, toutes les têtes couronnées de l’Europe qui n’acceptaient pas qu’un petit hobereau corse se hisse à leur niveau et fasse de la France un Empire qui annexait leur royaume grâce à ses qualités de stratège.

Administrateur remarquable, il relève la France de ses cendres et de la guerre civile. De lui datent les grandes institutions, les Grandes Ecoles, la Banque de France, une nouvelle architecture citadine, des monuments qui aujourd’hui encore étonnent, la Constitution. Il poursuit l’expérience des élections commencée pendant la Révolution, par un système électoral à deux degrés, aussi bien dans la France de l’intérieur que dans les départements réunis à l’Empire.

Il est un chef que le peuple reconnait comme légitime en mettant fin au désordre de la Révolution et à une certaine idée de la République qui pour la majorité des Français rappelait la Terreur. Il réussit à réconcilier les ennemis d’antan. La France retrouve son peuple.

A l’aube de notre XXIème siècle les nouveaux chantres de l’histoire empoignent le passé et le distordent, à l’heure où les vérités sortent de la bouche des réseaux sociaux et l’histoire de series de Netflix.

Loin de nous hélas la vision de Bernard de Chartres, dans laquelle les hommes de son temps pour apprendre et grandir se nourrissaient des enseignements du passé, des savoirs des penseurs qui les avaient précédés, se juchaient tels des nains sur les épaules de ces géants et ainsi grandis, enrichis, repoussaient l’horizon de la connaissance.

Dans le petit monde étriqué de la haine et de l’ignarerie, l’histoire est à déboulonner. L’héritage du passé un échafaudage vermoulu à éraser car il risque d’écraser ceux qui ne comprennent pas cette langue inconnue, pour eux incompréhensible, hiéroglyphes obscurs et malfaisants, lecture inutile, non sens.

La morale d’une époque est le reflet de celle-ci. Quelle valeur a une morale qui n’est que slogans hurlés dans les rues accompagnés des applaudissements rythmés d’une foule de hooligans de la morale, de slogans publicitaires vantant la cause de quelques-uns?

Chacun y va de ses petits comptes à régler au nom d’un passé éloigné où les ancêtres de certains furent mal traités (d’autres l’ont été aussi), qu’il ne sait par ailleurs vénérer et dont la tombe est un carré d’herbes folles.  Haine, rancune, soigneusement entretenues par des partis politiques et des associations dont c’est le tiroir caisse.

Il est si facile d’attiser les haines. Méfiez-vous Mesdames, Messieurs, Les  Pourvoyeurs de Haine, les guerres civiles sont pires que celles entre peuples ou armées et ceux qui les ont déclenchées en sont souvent les premières victimes.  Rien ne peut arrêter les masses en marche pour le massacre.

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