FrançaisSlider

Au fil des mots [fr]

Chambord, monumentale dentelle de pierre

Isabelle T. Decourmont

Pour entrer dans l’histoire, pour comprendre son évolution et celle de l’histoire des mentalités, des relations humaines et de la diplomatie rien de plus efficace que de se rendre de château en château et d’y observer l’évolution de leur conception architecturale au fil des siècles.

Promenons-nous dans le Val de Loire qui offre au promeneur autant de forteresses médiévales bâties pour intimider l’ennemi que de palais conçus pour éblouir.

Au cœur de la France, le Val de Loire est un pays de châteaux depuis l’an mille, un damier sur lequel chaque camp déplaçait ses figures, depuis que les seigneurs se protégeaient derrière leurs hautes murailles des désirs de conquête d’un Comte ou d’un Baron du voisinage.

C’est à Bourges chez son oncle, le Duc de Berry,  que se réfugiera le Dauphin Charles le 29 mai 1418. Il avait du quitter Paris, alors livrée à une lutte sans merci entre Armagnacs et Bourguignons, les premiers pour le Roi, les autres à la solde des Anglais, dans cette guerre franco-anglaise, guerre de succession, de territoires, guerre sans fin appelée Guerre de Cent Ans.

Le fidèle Gentilhomme Tanguy du Châtel avait réveillé dans la nuit le jeune garçon pour lui faire fuir la capitale et rejoindre le château de Mehun sur Yèvre de son oncle après une longue chevauchée nocturne. C’est là que Charles VII sera proclamé Roi et que Jeanne d’Arc, qui l’avait fait couronner à Reims, séjourna pour se faire soigner par le chirurgien du Roi avant de rejoindre l’armée avec laquelle elle poursuivra la lutte contre les Anglais avant d’être prisonnière de ces derniers et brûlée vive à Rouen à la fin d’un procès inique.

De ce château magnifique ne reste hélas qu’un donjon en ruine.

Une fois tournée la page de la guerre avec les Anglais le Val de Loire fut pendant près de deux cents ans le lieu où les principaux actes de la vie politique se déroulèrent.

Louis XI, Charles VIII, Louis XII puis François 1er aimèrent cette province avenante, qui se déploie le long de la Loire et de ses affluents et que l’on nomme aujourd’hui encore le jardin de la France.

Une fièvre architecturale accompagnera la présence royale, la paix retrouvée, la prospérité revenue.

Dans cette région qui compte une densité inégalée de trésors, un château surgit au bout d’une allée, au détour d’une forêt, sur un pont, couronnant une ville. De ceux construits pour éblouir, pour surprendre, pour étonner, pour y vivre agréablement.

Les plus grands de ce temps ne s’y sont pas trompés. Ainsi le 18 décembre 1539,  Charles Quint, celui sur l’empire duquel le soleil ne se couchait jamais, ébloui par Chambord, y aurait vu «  la somme de ce que le génie humain peut créer dans le domaine artistique ». Quant à l’Ambassadeur de Venise lors d’un séjour en 1577, il écrivit à sa sœur que Chambord était « Le séjour des fées Morgane et Alcine ».

Chambord, la merveille architecturale du Val de Loire, construit au début du XVIe siècle par François 1er  rappelle par maints aspects le château du Duc de Berry, antérieur de deux siècles.

Celui de Mehun sur Yèvre, près de Bourges, dont la construction commença en 1367, est certes un palais fortifié mais déjà une résidence raffinée aux mille tours, couronnée de créneaux au dessus de frises décoratives, de mâchicoulis sous des tourelles s’ouvrant sur l’extérieur par de hautes  fenêtres cathédrale. Les somptueuses représentations contenues dans le manuscrit des « Très Riches Heures du Duc de Berry » réalisé sur sa demande par les frères Limburg, un des plus beaux ouvrages  existants, nous offre au travers de ses enluminures des représentations sublimes de la campagne environnante et du château, qui durent enchanter François 1er et l’inspirer pour les plans qu’il élabora pour Chambord. En effet maints éléments architecturaux et décoratifs de Mehun se retrouvent à Chambord.

Chambord, le rêve humaniste traduit par l’architecture.

Le lieu Chambourg est cité dès le XIIe siècle dans les Chartres, mais il n’est alors qu’un modeste rendez-vous de chasse solognote des Comtes de Blois. C’est en 1519 à peine devenu roi et auréolé de sa victoire de Marignan de 1515 contre le duché milanais sur lequel il a des droits dynastiques, que François entreprend l’édification du château que nous connaissons. Admirateur de l’Italie et de ses arts, il veut que son royaume soit lui aussi un ambassadeur des arts. Il saura s’entourer de grands esprits et de grands artistes.

Leonardo da Vinci, invité par le Roi à venir vivre en France, résidait depuis trois ans au Clos Lucé quand le chantier commence et l’on dit qu’ils auraient ensemble imaginé les plans du château.

Certes on a retrouvé dans les carnets de Leonardo un dessin d’escalier à double révolution, tel celui de Chambord, unique en son genre, tant admiré depuis cinq siècles par les visiteurs dans lequel deux personnes peuvent monter en même temps sans jamais se croiser tout en s’apercevant, mais Vinci mourut l’année même où débuta la construction et aucun autre dessin de sa main ne témoigne de sa paternité. Cependant, Domenico de Cortina dit « Le Boccador », son ami, a laissé une  maquette en bois, dont témoigne un dessin de Félibien au XVIIe siècle, qui pourrait en effet être le fruit d’un travail commun entre les deux artistes. Il semble bien néanmoins que le Roi en est l’inspirateur majeur.

Tout est exceptionnel en ce lieu : les 1800 hommes sur un chantier qui durera douze ans sous la direction de Messire Charles, seigneur de Murat, 5.500 hectares de parc, qu’il fallut gagner sur des marécages, une bâtisse qui fait 156 mètres sur 117 mètres, 440 pièces, 365 cheminées, quatorze grands escaliers, une terrasse avec huit cents chapiteaux.

Le Roi s’entoure de maîtres maçons français, des hommes de l’art, leurs noms : Jacques Coqeau, les Sourdeau père et fils, Pierre Nepveu dit Trinqueau, Jean Gobereau, Francois de Pontbriand,  gouverneur de Blois et de Loches ainsi que Jean Le Breton qui surveille le chantier. D’autres noms célèbres s’y ajouteront dans les siècles à venir, puisque le chantier ne se terminera que sous Louis XIV avec le célèbre architecte Mansart.

Chambord connaîtra la gloire et la décadence, la destruction, les méfaits du temps, les sévices des hommes et sa résurrection au XXe siècle..

Dès les premières années de sa construction, un grain de sable bouscule les projets. En 1525 à la suite de la défaite de Pavie, François 1er est fait prisonnier par Charles Quint. Après être resté deux ans détenu à Madrid, il ne doit sa libération qu’à un échange de prisonnier : ses deux fils prendront sa place. Dès son retour François relance le chantier. En 1533 l’ensemble central du donjon est achevé, en 1537 Coqueau élève les tours et les pavillons qui le flanquent, il élève deux étages d’arcades à l’ouest en symétrie de l’aile est, en 1543 il achève l’escalier dans l’angle  nord-est de la cour d’honneur, appelé escalier François 1er.

Quand les appartements royaux furent eux aussi achevés en 1547, le Roi  fit amener sa bibliothèque de 1800 ouvrages depuis le château de Blois dans cette même tour. Il ne jouira que peu de temps de ce lieu où il avait investi tant de force et de talent car il mourut cette même année.

Les Rois qui lui succèdent parachèveront son œuvre, Henri II, Louis XIII puis Louis XIV, qui y avait séjourné une première fois en 1660 lors du voyage qui le ramenait à Paris après son mariage avec l’Infante d’Espagne à Saint Jean de Luz. Il s’enthousiasma pour le lieu, fit ériger le village de Chambord en paroisse et construire une église royale à la mémoire de Saint Louis. Il reviendra souvent avec sa cour dans ce décor somptueux comme fait pour y recevoir ses fêtes, où Molière proposera ses pièces, Monsieur de Pourceaugnac et le Bourgeois Gentilhomme, où les compositeurs, de la cour Lully, Marin Marais, Charpentier donneront des concerts et montreront leurs ballets et leurs opéras,

Après la mort de Louis XIV Chambord sera peu à peu abandonné, ses nouveaux occupants ne l’entretiendront pas. Ainsi Stanislas Leszczynski, Roi de Pologne dont Louis XV a épousé la fille Marie et à qui il offrira d’y résider après que celui-ci eut été déposé et dut fuir son pays.

Ce n’est que lorsque Chambord devient en 1748 la propriété du brillant Maréchal de Saxe qu’il retrouvera ses heures de gloire. Un cadeau du Roi pour la victoire de Fontenoy au fils illégitime de l’Electeur de Saxe, Frédérique-Auguste 1er et de la Comtesse de Königsmark, qui était entré au service de la France au moment de la guerre de succession de Pologne. Fêtes, représentations théâtrales, parades militaires se succèderont au château. La dernière cérémonie résonna du bruit des canons qui tirèrent à blanc tous les quarts d’heure pendant seize jours pour les funérailles du brillant et courageux militaire, charmant homme de société, qui mourût trop tôt, à 54 ans en 1750, peut-être des suites d’un duel contre le Duc de Conti pour une histoire d’épouse qui aurait succombée aux charmes du Maréchal. Sa mort signa la condamnation du château.

Il revint certes à la couronne royale mais dès le début de la Révolution le gouvernement révolutionnaire se l’appropria, vendit son inestimable mobilier à l’encan, c’est-à-dire aux enchères. Les boiseries, les miroiteries, les  cheminées seront vendues ou saccagées, les planchers et les boiseries brûlés. En 1792 le Département suggère à la Convention « de détruire ce repaire de vautours » pour y construire cinquante pavillons destinés « à une colonie heureuse ».  Grâce à l’architecte Marie qui gonfla démesurément le devis de démolition, le projet n’eut pas de suite.

Napoléon voulant le sauver, octroya 5000 livres annuelles au Général Berthier pour son entretien, somme insuffisante pour couvrir les frais de cette énorme bâtisse et quand l’Empereur partit en exil, le château fut oublié et se délabra au fil des mois.

A partir de cette époque son état refléta les hauts et les bas de la monarchie. Sous la Restauration, le Comte de Calonne lança le 5 mars 1821 une souscription nationale qui remporta un succès étonnant que l’on s’explique par la situation : 1.542.000 francs de l’époque furent rassemblés et permirent de racheter le château pour l’offrir à l’enfant qui devait succéder sur le trône à Charles X.

En effet un destin tragique s’acharnait sur la famille royale. L’héritier au trône, le Duc de Berry avait été assassiné alors qu’il sortait d’une représentation à l’Opéra le 14 février 1820 avec son épouse, enceinte du petit Duc de Bordeaux. C’est à cet enfant, petit-fils du Roi, héritier au Trône, que le château de Chambord fut offert.

Mais la Révolution de 1830 relança les dés. La famille royale dut partir en exil

Le petit Duc devenu Henri d’Artois, Comte de Chambord ne revint en France qu’en 1870. Jusqu’à sa mort il s’investit activement dans la restauration de son château ce que poursuivirent ses héritiers. Mai, nouveau coup du sort, en 1914, le propriétaire Elie de Bourbon Parme était certes l’héritier à la couronne de France mais aussi le frère de l’impératrice d’Autriche. Il choisit de combattre dans l’armée  autrichienne à quoi l’Etat français réagit en mettant le château de Chambord sous séquestre puis en le rachetant pour onze millions à son propriétaire quelques années plus tard.

Depuis le milieu du XXe siècle et jusqu’à ce jour, le château et le parc furent admirablement restaurés  et entretenus. Malheureusement les 440 salles restent tristement vides.

Faut-il lancer une  souscription nationale pour acquérir le mobilier d’époque, les objets d’art, les pendules, la vaisselle aujourd’hui en possession des antiquaires et des particuliers ?  Ils y trouveraient un si bel écrin.

Related Articles

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

Back to top button
Close
Close