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Au fil des mots [fr]

La femme: 0

Isabelle T. Decourmont

Vision d’avenir de la femme de demain cet étrange androïde dans la vitrine d’un grand magasin parisien, haut lieu d’exposition des grands noms de la mode et du prêt à porter de luxe ?

Femme machine, transhumanisée avant l’heure, carcasse déglinguée et remontée avec des fils de fer, réajustée en semblant d’humain, un robot qui s’affiche comme substitution de ce qui n’a plus sa place dans une société de l’utilitaire absolu, ce que l’on tente d’éliminer de l’horizon quotidien, loin des yeux, loin du cœur, comme le dit le proverbe, avant que le cœur lui-même ne soit extirpé, le meilleur moyen pour déshabiller les individus de leur passé fait d’émotions, de souvenirs et de réminiscence. Déjà la présence des pronoms personnels dérange, le « je » existentiel, le tu de la reconnaissance d’Autrui, constituants de la communication, substance même de la matière anthropologique sont évacués de la rencontre avec la femme robot.

Jusqu’à quand la mémoire de l’observateur ou de l’observatrice leur jouera-t-elle le tour d’effacer la qualité du caractère relationnel préexistant construit par des siècles de civilisation pour le remplacer par le nouveau concept d’homme machine, effaçant toute valeur humaine à la personne qui n’en sera plus une ?

Je citerai Balzac, qui dans « Secrets de la Princesse de Cadignan » écrivait en 1839 : « L’une des gloires de la Société, c’est d’avoir crée la femme là où la nature a fait une femelle. »

Femme de chair, ni femelle ni lego.

C’est à une femme aimée qu’il écrivait : « Si mes lettres vous font du bien.les vôtres sont ma vie, et nous avons une douce réciprocité de plaintes qui m’enchante. »

Chercher la femme…

La solution trouvée par ceux que la sensibilité dérange, que la subjectivité hérisse,  du politique à l’artiste, que l’on devrait nommer manager ou programmateur, car ils ne sont plus que cela,  est de dresser entre l’individu et son monde intérieur des interdits du ressenti, car le voyage obscur dans les wagons blindés du « : o » n’est que cela, une illusion dont la porte entrebâillée est un couloir de la mort de l’imagination. Et parce que les maîtres du moment craignent les déraillements, leurs programmes ne supportant ni inattendu, ni improvisation, nous l’avons tous expérimenté face à nos ordinateurs, cheval qui lorsqu’il s’emballe échappe à tout contrôle, entravent les jambes galopantes de notre liberté de penser et d’agir, dont ils ont tranché les tendons.

Trottant sur un cheval de bois fait de seule fata morgana et d’immortalité confuse, nous croyons comme Hoffmann voir la femme éternelle dans l’Olympia du futur en plastique recyclé.

Le High Tech était déjà entré dans le monde de la Haute Couture avec Thierry Mugler dès les années 80. La femme n’y était pas le but mais le support de recherches technologiques. Certes un corps de chair à habiller, cependant celui-ci était au re-vêtement qui l’enveloppait ce que l’animal de laboratoire est aux électrodes qui analysent ou modifient son comportement.

A l’occasion d’une rétrospective sur son œuvre au Musée des Arts Décoratifs qui commencera le 30 septembre 2021, Mugler à la question d’Arthur Dreyfus : « Comment voyez-vous les vêtements du 21ème siècle ? » répond : «les coupes vont s’adapter à votre morphologie, réagir en direct et même le rééduquer.»

Rééduquer. Il a osé. Arrière goût de camps du même nom adaptés à l’eugénisme pour la mode de demain.

Dire innocemment, étourdiment ce que d’autres, plus habiles, remplacent par des périphrases poétiques, mort de la mort, ou prometteuses d’une société nouvelle de femmes libérées des mâles blancs dominants, le tout passé au crible du politiquement correct, censure qui crée un nouveau domaine lexical dans lequel l’entre deux de la vie, clair obscur des émotions, désir, sensualité, homme, maîtresse et parfums lourds sont mis à l’index. Ô Baudelaire, tes fleurs du Mal sont une insulte aux droits des femmes.

Mais aussi ce père hugolien d’après la bataille : « mon père, ce héros au regard si doux… »

 Que devient le « Etonnez-moi », « charmez-moi » et Nijinski  bondit. Crime passible probablement d’au moins 135€ d’amende. « Prisunic » des contraventions.

Emerveillement revigorant nourrissant l’essentiel en l’humain, l’ineffable, l’insaisissable, la lumière intérieure, l’instinct de survie, la quête de l’eau de jouvence, la force immanente à la vie puisant curiosité transcendante, méta-physique au sens propre, définit par Gabriel Marcel comme « appétit de l’être ».

Eteindre la lumière intérieure en arrachant le cœur, pour que s’arrêtent ad vitam aeternam les battements qui animaient la ci-devant chair, l’abandonnant à ce vers quoi elle devait irrémédiablement retourner, ses éléments premiers, peut-être un peu d’azote que les rayons cosmiques transmueraient en Carbone 14 qui reviendrait irradier ceux qui ont aimé l’être-homme ou l’être-femme jadis incarnés dans cette chair.

Le boulevard est vide abandonnant la poupée à la lumière blafarde des réverbères.

Les mannequins qui la précédèrent dans le temps, derrière la même vitre, étaient  tout aussi factices que ces robots déhanchés, eux aussi faits de plastique, de bois, de celluloïd ou de papier mâché, mais leur apparence se promettait de donner le change.

Le mécanisme de leurs articulations  était habilement caché derrière l’arrondi d’une épaule ; d’un coude, d’un genou et s’il ne pouvait l’être, par des vêtements qui masquaient  l’assemblage des pièces de la poupée.

L’illusion créée par le décor et son ambiance  ajoutait pour la passante charmée qui regardait la mise en scène comme on regarde des acteurs au théâtre, de la crédibilité  à la figure qui lui faisait face  derrière la vitre et à laquelle elle s’identifiait volontiers, à moins qu’apeurée par son audace en mesurant l’espace infranchissable qui séparait le tableau enchanteur de son propre quotidien, elle ne la déposa avec précaution dans le tiroir aux utopies de ses rêves.

Que l’univers représenté ait été celui de son ordinaire journalier ou celui d’un  monde fabuleux, inhabituel et merveilleux, loin justement de la médiocrité, de la banalité de sa vie au jour le jour et qui vivifiait son imagination, ce mensonge certes mais aussi voyage intérieur bien réel, auquel elle donnait libre cours, l’embarquait sur un bateau ivre en des contrées exaltantes.

Imagination, puits sans fond  s’abreuvant aux plus antiques sources à moins qu’elle ne soit une chimère nourrie de poudre d’étoile filante.

Je n’ajouterai pas pour la définir, « cette folle du logis », comme l’aurait prétendument qualifiée Malebranche et qui accapara en 1ère littéraire ma réflexion le temps d’une dissertation. Cette expression n’est jamais née sous sa plume, ai-je appris depuis, il aurait pu, peut-être. N’a-t-il pas en effet écrit dans ses Entretiens Métaphysiques cette phrase qui s’en rapproche : « l’imagination est une folle qui se plaît à faire la folle ».

Au logis elle n’était point. Pas plus que certaines robes de Christian Lacroix, le plus poétique de nos Grands Couturiers, ne se trouvent suspendues dans nos armoires entre nos jeans et nos robes plus ou moins sages ou excentriques, mais banalement venus « von der Stange », définition brute et prosaïque, sans fard, donnée par les Allemands à ce qui sort des ateliers du prêt à porter, longue corde serpentant à travers le continent eurasien à laquelle restent parfois étranglées les petites mains de l’Asie, entravées dans les milliards de fils de polyester et de viscose de leurs machines infernales.

Notre mission est d’accompagner les gens à travers leurs rêves et leurs émotions », confiait Sacha Walckhoff, assistant de Christian Lacroix.

Alors vive la folie de ce Grand Couturier inégalé, la géniale folie enchanteresse de beauté, celle qui revêtait les mannequins de chair dans ses défilés et les autres, factices, dans ses vitrines féeriques de la Rue du Faubourg Saint Honoré.

Loin de la créature deux points zéro, humanoïde traversant le temps telle une idée de soi sempiternelle, cet humanoïde  0 &  expression d’une ruse ou d’une invention, chimère d’oracles sibyllins qui se veut prophétique d’un bonheur infini imaginé par quelques boursicoteurs californiens, spéculant sur la création et la néantisation tout à la fois, eux-mêmes démiurges sans Logos, en équilibre précaire à quelques pas de la zone abyssale des borders Lines du  Pliocène qui en les engloutissant résoudraient l’équation du zéro et de l’infini qu’ils dressent au dessus de nos têtes comme une épée de Damoclès.

Le zéro est-il l’alpha et l’oméga ou l’avant d’avant l’avant, l’après d’après l’après, au-delà du  rien qui ne connaissait ni temps ni espace.

Question éternelle de l’Homme, je vous l’accorde de la Femme aussi, à laquelle le texte d’un des papyrus d’Oxyrhynque, découverts en 1897, offre une réponse très peu politiquement correct.  Trop de pères. Puisque « le Maître de toutes choses, Père sans père, n’est pas le Père mais l’aïeul. Car le Père est seulement l’origine de ce qui va arriver. Mais son père est l’aïeul, dieu de toutes choses depuis le commencement jusqu’aux temps éloignés. »

Un père sans chair celui-là, il est certain d’avant le Big Bang, l’alpha et l’oméga, énigme que ne résoudra pas les calculs du plus puissant ordinateur quantique au monde.

Le : 0 serait-il le grain de sable enrayant la prodigieuse évolution de la matière vers l’esprit ou l’involution faisant régresser l’esprit vers la matière ? Quand la lumière intérieure quitte la matière il ne reste que des vivants morts. Le zombie de la vitrine en est la préfiguration.

* Logion : parole sacrée en grec

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