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Voyage à travers le temps autour du Lac de Constance (2)

Les Celtes : ces ancêtres oubliés

Isabelle T. Decourmont

L’histoire de l’Europe occidentale, telle qu’elle est nous est contée et enseignée, souligne qu’elle est helléno-romano-judéo-chrétienne. Cette description ignore l’influence d’une grande culture, celle des Celtes, un peuple que même les Romains et les Grecs craignirent, quand ses troupes pillèrent Rome en 390 av. JC et mirent à sac des villes de Thrace et de Macédoine environ à la même époque. Pour les Romains, ils n’étaient qu’un de ces peuples qu’ils nommaient « barbares ». Nom attribué à tous ceux qui ne parlaient pas latin et dont les langues à l’oreille des Romains n’étaient qu’un flot de sons ressemblant à des onomatopées, suite de Ba bar bar ba, d’où l’origine de la dénomination : les barbares.

Mais qu’en est-il, historiquement, des peuples celtes dont les archéologues trouvent des traces s’étendant sur tout le premier millénaire av. notre ère et ce dans toute l’Europe centrale et de l’ouest. A l’ère du fer, ils sont installés sur une vaste ère géographique s’étendant de la Bohème jusqu’à l’est de la France, en Suisse et dans le nord-est de l’Italie. Vers le septième siècle avant notre ère ils progressent au-delà des Pyrénées et s’établissent dans le nord de l’Espagne, après quoi on note au 4ème siècle avant notre ère une expansion aussi bien jusqu’aux côtes de l’Atlantique, que vers l’est jusque dans l’actuelle Turquie et dans la région au nord de la Mer Noire. C’est aussi à cette époque qu’ils se déploient jusqu’en Irlande où leur culture survécut aux conquêtes romaines dont les troupes n’abordèrent jamais sur la grande île à l’extrême ouest de l’Europe, lui permettant d’y être ainsi préservée.

Les premiers à les mentionner dans leurs textes furent l’historien grec : Hécate de Milet vers 500 av JC qui les situent au nord de Massalia (aujourd’hui Marseille), alors ville grecque puis Hérodote lui-même, grand historien et voyageur de la même époque qu’Hécate, qui dans l’œuvre de sa vie : « Histoires » situent les « Keltoï » entre les Pyrénées et les sources du Danube.

Ils sont restés dans l’histoire de France sous le nom de Gaulois ou Galates, que lui donnèrent les historiens antiques, comme un peuple qui combattit contre les troupes de César, échoua, subit la conquête romaine qui effaça par la violence de la romanisation imposée et l’effacement de la langue des autochtones au profit du latin toute trace de sa culture. En Allemagne, les Germains venus du nord et l’invasion romaine par l’ouest provoquèrent la disparition de la culture celte à l’est du Rhin.

Le dernier effacement ira jusqu’à la disparition de traces visibles au travers de l’arasement du temps, des constructions ultérieures des hommes, de la pratique agricole et du recouvrement par la végétation et enfin l’oubli. Quant à leurs mœurs, traditions et croyances religieuses, l’héritage en avait été gommé par le christianisme là où il vivait encore caché.

Aussi l’intérêt pour la culture celte éveillé lors des fouilles archéologiques des 19ème, 20ème et 21ème siècles qui en révélèrent les traces et les richesses culturelles est-il à saluer et à encourager. De nouveaux trésors archéologiques sont sans cesse mis au jour dans le Bade Wurtemberg.

Les traces celtes dans l’est de la France, en Suisse, dans le sud de l’Allemagne, le long des voies du Rhône, du Rhin et du Danube, ne fait que souligner combien le Bodensee, la région du Lac de Constance, ce cadre géographique qui comporte des sites représentatifs, fut au cœur de la civilisation celte, un véritable carrefour entre la Celtique occidentale, la Cisalpine et l’Europe centrale.

Les plus anciennes formes connues de la culture celte, dites « culture des champs d’urnes », disséminée entre la Bohème et l’est de la France, remonteraient au-delà du premier millénaire avant notre ère. La civilisation de Hallstatt doit son nom au site archéologique celte découvert près des Salzkammergut d’Autriche, grottes de sel du massif alpin. Celle de La Tène, à la découverte lors d’un été très sec du milieu du 19ème siècle de centaines d’armes et bijoux comme jaillis du sous sol sur les bords du Lac de Neufchâtel, à un lieu dit La Tène.

Le plus vaste témoin à ce jour en Allemagne est le « Keltisches Fürstengrab Magdalenenberg », la tombe princière celte de Magdalenenberg à côté de Villingen, vieille de 2600 ans. Comme à Troie, l’étude stratigraphique des fouilles ont révélé des strates successives de construction, malheureusement pillées dans le passé.

Un autre oppidum proche du Lac de Constance et datant de Hallstatt se trouve à Heuneburg, proche de Sigmaringen. Cette principauté comportait une citadelle de deux hectares construite sur un plateau rocheux entourée d’un lieu de peuplement d’une centaine d’hectares, le tout surplombant le Danube, voie commerciale qui reliait ce lieu à des territoires éloignés et permettait les échanges commerciaux.

Les Celtes étaient d’habiles artisans. Les fouilles ont mis à jour des objets en bronze fabriqués dans les ateliers de ses forgerons. Ils avaient inventé la soudure, fabriquaient des cottes de maille et forgeaient les fers de leurs chevaux, faisaient des bijoux en or d’extrême finesse. Leurs poteries sont peintes et estampillées et le tour de potier qu’ils inventèrent est une découverte majeure dans l’histoire de cet art. Le site comme d’autres contenait des matières venues de lointaines contrées : de l’ambre de la Mer du Nord, de l’étain de Turquie, de Cornouilles, de l’ouest de la France, nécessaire à la fabrication du bronze.

En contrebas de la citadelle subsistent les traces d’une zone d’une centaine d’hectares, habitée entre le 7ème et le 5ème siècle avant notre ère, par une population évaluée entre 5000 et 10000 personnes, constituée d’enclos entourés de palissades dont chacun comprenait une habitation, des zones de stockage et des terres cultivées.

Une nécropole de 36 monticules est située à 3,5 kilomètres de la citadelle. Dans la forêt voisine subsistent une quinzaine de tumulus, dont le principal nommé Hohmichele a un diamètre de 85 m et une hauteur de 13 m. Nommé « tombe de la princesse d’Heuneburg », par analogie avec la tombe de la princesse découverte à Vix en France, elle fut découverte en décembre 2010, à peu de distance au sud-est de la citadelle et au nord de la commune de Herbertingen. La chambre funéraire contenait le squelette d’une femme, âgée d’une trentaine d’années au moment de sa mort, entouré d’objets de grande valeur, un torque (collier) et des pendants d’oreille en or, des fibules en or et en bronze, des bracelets de jais et de bronze, une ceinture en cuir et en bronze. Il y avait aussi un second squelette, probablement de femme. A quelque distance du tumulus, une tombe secondaire contenait un corps d’enfant.

C’est une importante découverte car il s’agit de la première tombe princière non pillée découverte en son état initial aux alentours de la citadelle de la Heuneburg. La sépulture datée par étude dendrochronologique des bois de son plancher, remonte à 583 av. J.-C.

La tombe princière de Hochdorf au sud de Stuttgart est un peu plus éloignée du Lac de Constance mais mérite le voyage.

D’autres oppida (oppidum, terme employé par César dans sa « Guerre des Gaules » y désignait une ville gauloise), comprenant ville et tombes princières ont été mises à jour en Allemagne du Sud mais aussi sur le Plateau suisse à Châtillon-sur-Glâne et sur l’Uetliberg à Zürich près de la Waldegg, où un oppidum contenant une tombe princière fut dégagé lors de travaux de terrassement. La Suisse prend une place de premier plan dans la recherche, grâce aux nécropoles de Münsingen-Rain, Saint-Sulpice, Vevey ou Andelfingen.

En France la plus marquante découverte fut celle de l’oppidum de Vix en Bourgogne et de son trésor en 1953. Cela eut un retentissement médiatique tel qu’il réveilla l’intérêt des foules et des spécialistes pour cette civilisation. L’étonnante découverte faite à 450 kilomètres à l’est du Lac de Constance était celle de la tombe dite de la Dame de Vix, sépulture princière prestigieuse, datant de la fin du premier âge du Fer. La Dame, une princesse d’une trentaine d’années, enterrée vers 500 avant notre ère, est allongée sur son char, parée et entourée de bijoux précieux, dont un torque en or, des bracelets de schiste, des perles d’ambre, des fibules, chef-d’œuvre d’orfèvrerie celte. A ses côtés, se trouvait sa vaisselle, phiale en agent, cruche à vin et le fameux vase ou « cratère » en bronze d’un mètre soixante-quatre de haut, un mètre vingt-sept de large, d’un poids de 208 kilos et pouvant contenir 1100 litres. Il est d’une esthétique admirable et d’origine grecque, ce qui témoigne des relations des Celtes avec le monde méditerranéen, grec ou étrusque. Cette tombe demeure à ce jour l’une des plus remarquables sépultures de l’époque.

Les torques à cabochons du nord de la Suisse et du haut Rhin pourraient manifester des déplacements, du moins de femmes, en direction de la zone hongroise vers 300 av. J.-C. Intéressant est aussi l’épisode légendaire, difficile à dater, rapporté par Pline l’Ancien dans le troisième quart du Ier siècle av. J.-C.: Hélico, un Helvète aurait rapporté des figues, des raisins secs, de l’huile et du vin d’un séjour en Italie, contribuant ainsi à pousser les siens à traverser les Alpes et à envahir la péninsule italique.

Ces produits importés, dits «de luxe», se trouvaient sur des sites fortifiés établis le long de voies de communication naturelles et dans des sépultures sous tumulus (Vix, Hochdorf dans le Bade-Wurtemberg; pour la Suisse, Payerne, et Grächwil entre autres). Ces tombes d’une richesse parfois extrême furent souvent pillées hélas dans l’Antiquité.

Les principaux objets de l’art celtique retrouvés sont des objets d’artisanat de petite taille, en particulier des parures, dans lesquelles on retrouve une certaine unité décorative, dans les bijoux par exemple. Mais aussi des statues de pierre d’assez grande taille en Allemagne du Sud et en Bourgogne. Les artisans maîtrisaient parfaitement les techniques métallurgiques du bronze, notamment de la chaudronnerie, ils développent celle du fer en particulier dans les domaines de l’armement et de l’outillage. Les études ethnologiques révèlent que les femmes pouvaient hériter de leur époux. La société hallstattienne apparaît comme un système fortement hiérarchisé. Il semblerait que la société celte comprenait trois classes, la noblesse et les druides puis le groupe des artisans et des paysans libres, enfin ceux qui n’étaient pas libres, serfs et prisonniers de guerre qui étaient sous la protection d’un prince auquel ils devaient le service militaire. En Gaule les tribus étaient gouvernées par un roi ou un chef de tribu élu et un conseil de notables.

La religion reste un domaine peu connu, on a retrouvé des lieux de culte, champs sacrés consacrés aux cérémonies religieuses comportant des portiques entourés de fossés et de palissades. On suppose la pratique de sacrifices humains et un culte des crânes au vu des fouilles du site de Roquepertuse en Provence dans le sud de la France et de son portique en pierre orné de crânes.

Note de l’auteur : Pour plus de clarté les lieux géographiques portent leur nom actuel.

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