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Au fil des mots [fr]

La lumière retrouvée. Noël

Isabelle T. Decourmont

La nuit aura-t-elle une fin et le soleil réapparaitra-t-il dans le ciel au réveil…

La souffrance, le malheur prendront-ils fin en des temps meilleurs…

Les mort revivent-ils en un autre lieu…

Mêmes questions, mêmes angoisses, même incompréhension face au mystère du monde.

La nuit du solstice d’hiver, moment du passage. Agonie, mort et résurrection rituelles de toute initiation.

Processus à l’image de celui que traverse la Nature, figée, en attente.

Solstice du latin solstitium, mot composé de sol-soleil et sistere « s’arrêter, retenir », soleil immobile au point le plus éloigné de la terre sur son apparente orbite. Endormissement, symbole de la nuit obscure de l’âme. Réveil dans la lumière du petit matin qui se lève. A la mort succède la lumière intérieure ranimée par le rituel. La nature endormie, en attente du réveil des forces endormies, du jour qui se lève, de la vie qui re-naît, ré-apparait du fond des profondeurs, élan de vie qui grandit, ravivé par l’intensité de la lumière solaire, dans un temps cyclique qui n’est pas celui du temps irréversible et linéaire des humains. Rite conté dans tous les mythes à la durée intemporelle.

Chute dans la matière, le ciel refermé, récit de toutes les traditions et récits mythiques, quelque soit la culture, la tradition spirituelle, la religion, descente dans les profondeurs de la nuit qui enveloppe la terre et semble ne jamais finir, dans l’attente d’un jour qui semble ne jamais revenir.

Perte de la mémoire virtuelle de tout ce qui fut, disent les mythes des Aborigènes d’Australie.

Le rituel de la naissance, symbole majeur dans la tradition pharaonique, est lié à l’apparition de la conscience en l’homme et à celle de l’harmonie dans la communauté des vivants. Car rite et symbole sont indissociables, le premier menant de la conception de la divinité à sa manifestation, écrit François Daumas dans « Les Mammisis des temples égyptiens », 1958.

Chez les Chrétiens la naissance de l’Enfant-Roi est celle du mystère de l’incarnation. La mère Divine et son enfant, fêtés la nuit de Noël, c’est la Mère réunissant en elle tous les aspects de la Nature créatrice, qui est au Moyen-Âge la nature naturante, écrit C. Jacq (La sagesse égyptienne, Ed du Rocher, 1981).

Des Bretons, nos derniers Celtes, nous apprenons que dans la tradition celte, le mot Noël qui désignait le solstice d’hiver, puisque c’est bien de lui qu’il s’agit lors de la fête célébrée depuis des millénaires lors de la nuit la plus longue de l’année, viendrait de deux mots gaulois : noio et hel.

Noio : nouveau en langue celte ou gauloise. Hel, en fait hed : soleil en celte, que l’on retrouve dans le hel de la langue grecque : Hélios, le dieu solaire.

Al Naël Deu apparaît dans un texte de 1119 de Philippe de Thaon écrit en français ancien et le mot NOËL seulement au début du XIIème siècle où il désigne la fête de la nativité de Jésus-Christ. On voit que les deux a de al Naël sont devenus o par dissimilation mais en italien la racine latine natalis ou nael persiste dans le mot natale. Bon Noël, Buon Natale.

On découvre le mot réveillon dans un manuscrit de 1355 où il signifie « festoyer le soir » car il ne prendra le sens du repas pris la nuit de Noël qu’au XIXème siècle.

Noël défile tout au long de la littérature française.

Chez Rabelais, dans une version du Pantagruel, celle de l’Ancien Prologue du Quart Livre de 1548, on peut lire : «… cantique chanté à l’occasion des fêtes de Noël ». Dans « le Roman de Renart », renart, écrit selon l’orthographe de l’époque, célèbre fable du Moyen-Âge parut en 1178 grâce à laquelle le surnom du goupil, puisque c’est ainsi que se nommait alors cet animal, devint si célèbre qu’il en fit oublier son nom original, est un des premiers textes à citer le mot de Noël en y racontant une tradition :

« Ce fu un pou devant Noël Que l’on metoit bacons en sel » soit : c’est un peu avant Noël que l’on mettait le lard à saler.

Quant au célèbre dicton « Noël au balcon, Pâques au tison », le texte original de 1611 en est : « à Noël au perron, à Pâques au tison ».

Noël fut un temps un mot féminin : « On était à la Noël. Comme elles étaient contentes de ces deux robes semblables! ». ( Zola, La Curée, 1872, p.573).

Victor Hugo raconte un noël dans Notre Dame de Paris « Ils se rappelaient les uns aux autres…les fêtes éblouissantes, les Noëls étincelantes de flambeaux, les Pâques éclatantes de soleil, toutes ces solennités splendides (Hugo, N.-D. Paris, 1832, p.475).

Ce mot était aussi un cri de joie lancé par les rues au Moyen-Âge, même en dehors de la période de Noël :

« Une douzaine de serviteurs crient Noël! et voilà un roi de France », (Chateaubriand, Discours historique, t.4, 1831, p.206).

« Le roi arrive demain; il aura une belle entrée dans sa bonne ville. Les ordres sont donnés pour que le bon peuple soit joyeux et crie Noël sur son chemin ». (Dumas père, La Tour de Nesle, 1832).

Chez les Goncourt, la scène pourrait avoir lieu aujourd’hui : « Joyeux Noël! Quelle douceur à voir, le soir la ribambelle de petites bottines comme rangées pour une nuit de Noël dans la cheminée et paraissant attendre un saint Nicolas. » (Goncourt, Journal, 1863, p.1340).

D’autres traditions sont liées au temps de Noël en France dont la seule évocation réveille les souvenirs d’enfance.

La bûche, qui dans le dictionnaire de Furetière de 1690 s’écrivait encore busche, le s devenu depuis un accent circonflexe, brûlait tout au long de la nuit sainte dans l’âtre de chaque foyer, symbole de vie, de lumière, d’espoir.

Murger, l’auteur de « La vie de Bohème », le plus célèbre de ses romans, qui servit de livret au bouleversant opéra éponyme de Puccini, dont la scène la plus tragique se passe la nuit de Noël, raconte dans un récit moins connu, « Nuits d’hiver », une soirée de Noël entre amis : « Il invita deux de ses voisins à faire avec lui la fête du réveillon, et il alluma dans son foyer la bûche de Noël; une belle bûche de chêne, cuirassée d’une écorce bien sèche. (Murger, Nuits hiver, 1861, p.213).

La bûche posée dans l’âtre de la cheminée, assez grosse pour brûler toute la nuit, symbole de la lumière jaillissant au cœur des ténèbres, peu d’entre nous peut aujourd’hui la regarder brûler dans l’âtre, les radiateurs ayant remplacé les cheminées, mais elle subsiste en France sous forme de dessert, créé semble-t-il en 1920, petite bûche sucrée servie le soir de Noël, biscuit roulé, dont la coupe imite les cernes de croissance du tronc par ses cercles concentriques, enrobé de crème au chocolat ou de crème de marron imitant les cannelures du tronc, parsemé de champignons en meringue blanche, de petits lutins en sucre, dont l’apparition fait pousser des cris de joie á tous les invités et fait briller les yeux des enfants lorsqu’on la pose sur la table au dessert. Accompagnée d’une coupe de champagne, elle évoque des réveillons heureux.

La Provence a ses propres traditions de Noël. Les treize desserts en sont un des piliers. Ils varient selon les familles et les villages. Néanmoins la brioche à l’huile et aux fruits confits appelée pompe à huile y apparaît partout, entourée de quatre fruits secs, amandes, raisins, noix et noisettes et figues, puis quatre fruits frais: oranges, mandarines, poires et pommes, deux fruits confits, spécialité de la région ; melons et dattes et les deux nougats, le noir et le blanc. On peut aussi y ajouter les calissons traditionnels, exquis petits losanges de pâte faits pendant des siècles avec les pignons des pins parasols qui couvraient les alentours d’Aix, mais ils furent hélas abattus pour être remplacés par des pins maritimes, aussi les calissons sont-ils faits désormais avec des amandes.

Le nom « mendiants » donnés au mélange de noix et fruits secs aurait été choisi au vu de la similitude entre le brun des coques et la couleur brune de l’habit des moines mendiants, si présents en Provence, Franciscains et Carmes. En allemand, ces fruits secs s’appellent Studentenfutter, la nourriture des étudiants.

Dans « Le Tour de France médiéval », G. et R. Pernoud racontent la tradition vivante suivante qui règne encore aux Baux de Provence:

« Les seigneurs des Baux prétendaient descendre du Roi Mage Balthazar ; peut-être est-ce ce rappel de la Nativité qui fait célébrer encore aux Baux la messe de minuit avec une splendeur incomparables, les bergers de Provence y assistent dans leurs grandes capes brunes, les bergères dans leurs châles multicolores et leurs coiffes de dentelle, et avec eux leurs moutons, tandis que dans un chariot de bois coloré, on apporte l’agneau nouveau-né, symbole du Sauveur. »

Une autre figure moins ancienne est celle du Père Noël ou Bonhomme Noël, raconté par Georges Sand : « Ce que je n’ai pas oublié, c’est la croyance absolue que j’avais à la descente par le tuyau de la cheminée du petit père Noël, bon vieillard à barbe blanche, qui, à l’heure de minuit, devait venir déposer dans mon petit soulier un cadeau que j’y trouvais à mon réveil. (Sand, Histoire de ma vie, t.2, 1855, p.155).

En région occitane, nombreuses sont les traditions attachées à Noël. La voix des cloches résonne quotidiennement les neuf jours qui le précèdent le soir à la tombée de la nuit. Cela s’appelle le Nadalet, terme occitan, signifiant « Petit Noël », très ancienne tradition méridionale qui remonte au XVIème siècle. Ces sonneries sont le souvenir d’une tradition plus ancienne encore, celle des Grandes Antiennes chantées à la fin du temps de l’Avent dont la particularité étaient que toutes commençaient par la lettre O: O Sapientia, O Adonai, O Rádix, O Clavis, O Oriens, O Rex, O Emmanuel.

« Chaque carillonneur sonnait en fonction du nombre de cloches qu’il avait à sa disposition, souvent deux ou trois, rarement plus. Il se faisait souvent aider par les jeunes du lieu qui se retrouvaient au clocher dans la joie et la bonne humeur. »

Cette tradition, encore bien vivante jusqu’au milieu du XXème siècle, s’est peu à peu perdue et a pratiquement disparu avec l’électrification des sonneries de cloches qui a remplacé progressivement les carillonneurs.

« C’est la veille de Noël. J’entends les cloches de tous nos clochers qui sonnent nadalet, chant joyeux que quinze jours avant la fête on entend dans l’air du pays, le soir, à trois heures et à neuf.» (E. de Guérin, Journal, 1840, p.315).

Heureusement aujourd’hui encore les carillonneurs de Saint Pons se donnent rendez-vous pour faire sonner Le Nadalet avant l’heure de l’Angélus.

Joyeux Noël

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