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Au fil des mots [fr]

Voyage gastronomique à travers la Provence

Isabelle T. Decourmont

« PROVENCE, Foodtrip ensoleillé en 100 recettes » de Catherine Roig est un authentique produit du terroir, à savourer avec les yeux et l’imagination.

Il dévoile au fil des pages cette fascinante province de France aux multiples paysages, sise entre fleuve, mer et montagne, ses trésors culinaires, ses traditions, ses paysages, ses senteurs, ses cultures et ses élevages et quelques personnalités attachantes et authentiques, souvent jeunes,  qui veillent sur la transmission des savoirs et des traditions.

Les souvenirs et l’imagination sont les fenêtres ouvertes sur de grands espaces sans limite d’où aucun décret d’enfermement de quelque forme qu’il soit ne peut nous interdire l’accès. En cette funeste période de liberté volée, envolons-nous au dessus de la mêlée, des Alpilles à la Camargue aux pieds dans l’eau de la Méditerranée en traversant le Lubéron et la Haute Provence. 3389 mètres de dénivelé. De quoi mettre en appétit.

Terre d’artistes, les ombres de Nicolas de Staël, Dora Maar, Albert Camus et du grand Giono, « le voyageur immobile », le chantre de Manosque planent sur les lieux.

Le livre s’ouvre sur une nature morte : courgettes farcies couleur de malachite aux fleurs d’un orange solaire posées au creux d’une céramique vert émeraude.

Une déclaration d’amour de C. Roig à cette région du sud de la France introduit l’ouvrage :

« Ecouter les favouilles tout juste pêchées chanter dans leur seau. Caresser la robe des chèvres, goûter à leur lait qui donnera une brousse délicate. Se piquer les doigts en savourant un oursin. Admirer le feuillage argenté des oliviers, onduler dans le Mistral. Se remplir les yeux du bleu des calanques, du vert des rizières, de l’ocre des massifs. Visiter la Provence c’est cajoler tous nos sens.»

Ce livre est ce que l’on nomme en France un «beau livre », œuvre d’art dans sa présentation originale: reliure blanche cartonnée façon coffret, habillée d’une jaquette dont le plat suit la silhouette d’un olivier, qui ouverte, laisse apparaître un dos d’ouvrage aux coutures apparentes. Belles photos. Récits détaillés sur les nombreuses facettes de la Provence et délicieuses recettes parfaitement expliquées par leurs créateurs et magnifiquement photographiées par Emanuela Cino.

Provence, altération du mot province, pro-vincere, le lieu vaincu aux portes de l’Empire romain, d’où son nom. Ce qui n’est pas l’Ile de France conservera en France la dénomination de province car c’est la Gaule entière qui fut conquise, mais cette région-ci se nommera Provence, mot proche du mot Proençal que l’on trouve dans « Le Roman d’Alexandre », long poème en vers de douze pieds du 13ème siècle. D’où le nom d’alexandrin attribué ultérieurement  à un vers de douze syllabes. Le mystérieux auteur, Alexandre de Paris, à la probable origine normande mais qui fit allégeance au Roi de France, loue au long de ses seize mille vers, les exploits d’Alexandre Le Grand mais aussi des héros de Homère.

La Provence un nom chantant qui attire les touristes. Car elle devint très à la mode vers les années 90, après qu’un Allemand avait écrit un livre, « Mein Jahr in der Provence, Mon année en Provence », au trop grand succès au goût des Provençaux et Provençales qui subirent une invasion de curieux, de touristes venus du monde entier, acquéreurs de leur mas, moulins, villages, terres, forêts, fermes et même de quelques pierres posées au milieu d’une garrigue qui étaient le prétexte légal pour construire une bâtisse. Et le prix de l’immobilier flamba et par la même les frais d’héritage, interdisant trop souvent aux locaux d’acheter un bien ou d’hériter de celui de leurs ancêtres. Ce n’étaient pas des aigles qui s’abattaient sur la province méridionale mais souvent des vautours en tongs et bermudas fleuris ou costume cravate.

Evitons-les et promenons-nous de maison en maison, de ceux et celles qui la représentent le mieux, cuisiniers, éleveurs, pécheurs, paysans, maraîchers, artisans, familles provençales sans enseigne. Allons frapper à leur porte qu’ils ouvriront si gentiment.

Jetons sur la table leur carte de visite et commençons le voyage depuis les Alpilles.

Un massif calcaire entre Rhône et Durance. Terre d’oliviers, d’amandiers, de vigne, d’abricotiers dont Louis XIV adorait les fruits et que son jardinier, La Quintinie fit pousser dans les vergers du château de Versailles. Châteaux médiévaux, sites archéologiques,  maisons de pierres blondes. Visite au Moulin de Daudet à Fontvieille où des paysans pastiers  cultivent pour leurs pâtes, blés, mais, pois chiches et lentilles, en culture biologique cela va de soi, comme au bon vieux temps. A quelque distance se trouve le restaurant Le Relais du Castelet. Un peu plus loin un ancien chef marseillais, Edouard Giribone a ouvert le restaurant Edù en pleine campagne. Dans un des plus beaux villages de France voisin, le jeune chef renommé, Christophe Hache, a quitté le Crillon de la Place de la Concorde pour s’installer à Eygalières.

Que de trésors culinaires à découvrir chez eux.

Ragoût de cocos (haricots blancs) aux olives noires et citron confit, artichauts violets façon Barigoule,  pieds et tripes d’agneau ou gigot à la sarriette, soupe de poissons et panisses, pâte de coing au chocolat blanc.

En repartant vers l’arrière pays, la route monte vers les Monts du Luberon puis du Vaucluse. Apt, Carpentras, villes célèbres, Gordes, village perché sur un pic rocheux. Le Luberon est aussi le plus grand gisement d’ocre du monde, « Terre de couleurs, des ocres de Roussillon ou de Rustrel au bleu mauve qui tapisse les champs de lavande, du blanc rosé des fleurs de cerisiers au rubis des fruits qui font rougir les vergers».

Dégustation à l’arrivée, car le chemin était escarpé. A Cadenet ou Maubec, tables fameuses : au choix, la tarte de passerilles, tarte sucrée au fromage de chèvre frais, raisins secs et blettes émincées ou la bourride de lotte : poisson, fenouil, safran, accompagnés de rouille, une mayonnaise faite d’un jaune d’œuf battu avec de l’huile d’olive, à laquelle est ajouté de l’ail pilé en crème.* Suivra un petit fromage de chèvre roulé dans sa feuille de châtaignier sur une tranche de  beau pain de campagne, accompagné d’ « un rosé fringant, un vin rouge  épicé, ou un blanc aux arômes de pain grillé » conseille l’auteur. Enfin pour le dessert une petite douceur du pays, à base d’amandes et de miel, peut-être préparé au Mas de Saint-Victor, tels du nougat blanc ou noir* ou quelques calissons ou des fruits confits, spécialités D’Apt qui en est la capitale mondiale. 

D’autres grands crus que les vins sont produits dans la région : la  cuisine provençale n’existerait pas sans l’huile d’olive et celles AOC de la Vallée des Baux, du Lubéron ou des Alpes de Haute Provence sont des nectars aux saveurs subtiles et variées qui donnent aux mets leur caractère singulier.

Si l’on continue notre route vers l’est, nous arriverons dans la Provence tranquille, inconnue ou presque des touristes, celle des Alpes, de la montagne au climat rude et sommets enneigés en hiver, des vallées et canyons impressionnants, de villages perchés et de maisons couvertes, non plus de tuiles, mais de lauzes grises, où les chèvreries de la région élèvent la chèvre provençale à longue fourrure mais aussi l’Alpine chamoisée brune marquée d’un trait noir sur le dos, où le châtaignier si prisé jadis pour ses précieux fruits, fut oublié et abattu au 20ème siècle, mais revient miraculeusement tel l’enfant prodigue, cultivé et protégé par la nouvelle génération du coin, qui se souvient que  la belle châtaigne, nourrissante mais facile à digérer, fut des siècles durant la base de la nourriture de leurs ancêtres. En pain, en gâteau, en biscuit, embaumant les rues ou les maisons en hiver quand on la grille ou appelée marron quand on en fait la fameuse crème, elle devient un produit de luxe à Noël, le fameux « marron glacé » luxueusement habillé de papier doré et vendu à prix d’or chez les chocolatiers et pâtissiers de renom de la France entière.

Descendons maintenant vers Arles et la Camargue. Un delta de cent mille hectares d’eau et de rizières, des salines, des gardians galopant sur leurs petits chevaux blancs autour de troupeaux de  taureaux puissants. Les pattes dans l’eau les flamants roses, sur les bancs de sable les précieuses tellines, petits coquillages rares et délicieux, que dans la belle ville antique d’Arles, à quelques galops des étangs,  le restaurant « Mazet du Vaccarès » proposent  en accompagnement d’une dorade.

Riz bio rouge ou blanc, poissons, seiches, tous les légumes possibles, ail rose ou noir, melons, prunes, pêches et cerises sont à déguster sur les nombreuses tables ou à acheter sur le marché d’Arles qui existait déjà au 5ème siècle. Les écrits le prouvent : en 1584 le roi Henri III en confirme la tenue aux jours qui sont encore ceux de notre temps : le mercredi et le samedi.

Depuis la Camargue pour rejoindre Marseille, deuxième ville de France et grand port méditerranéen, il n’en est que de quelques heures de route. La Massilia antique, comptoir grec fondé il y a 2600 ans, a gardé son côté cosmopolite, toutes les cuisines s’y dégustent, quelques pêcheurs restent férus de pêche traditionnelle. Partis de nuit, ils reviennent à l’aube pour vendre leur prise à la criée. Le plat le plus célèbre aujourd’hui, la Bouillabaisse, était à l’origine un plat de pauvres. Une fois la pêche vendue,  les laissés pour compte, petits poissons, lambeaux de chair, têtes et arêtes, servaient à préparer la fameuse soupe familiale. Aujourd’hui Matthieu et Camille propose une bouillabaisse raffinée de sardines dans leur restaurant « Ourea », Rue de la Paix à Marseille. La cuisine marseillaise, c’est aussi des couteaux farcis, des maquereaux en escabèche, des tatares de taureau,  par exemple chez un Anglais, Harry dans son restaurant, La Mercerie.

Marseille c’est  bien sur, les calanques surplombant celle que l’on nomme La Grande Bleue, qui bât les côtes d’un nombre infini d’îles et de vingt et un pays, j’espère n’en avoir oublié aucun.

Ou peut-être vingt deux si la Provence est un pays à lui tout seul.

PROVENCE, Ed. Hachette   ISBN – 9 782019 453527

*NDLA La mayonnaise française n’a rien à voir avec son abominable homonyme, la mayo vendue en Allemagne, mélange d’un blanc douteux fabriqué en usine. Il ne manque à celle-ci sur l’emballage que le pictogramme : « produit à ne pas ingurgiter, tenir hors de portée des enfants ».

Autre confusion possible : le nougat allemand est une crème onctueuse à base de noisettes, le nougat provençal est blanc ou noir selon la quantité de miel qu’il contient en plus des blancs d’œuf et des amandes grillées. Il peut être moelleux ou dur.

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