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Au fil des mots [fr]

La Méditerranée, mer de tous les dangers

Isabelle T. Decourmont

Sachant que 70% de la surface du globe sont couverts par les océans, la France a un atout unique. Elle est la seule au monde à avoir un domaine maritime planétaire, réparti sur trois océans, Atlantique, Pacifique et Indien, où ses navires peuvent faire escale dans des ports situés sur son territoire national d’outre-mer. Les ports dans l’Océan Indien ont un rôle stratégique eu égard au basculement vers l’Asie de l’économie mondiale.

La France est bien dotée puisque premier pays au monde en espaces maritimes et ZEE (Zone Economique Exclusive), elle en possède 11,6 millions de km² à travers les mers du globe, dont 97% dans ses Outre-mer. Viennent ensuite les États-Unis (11,3), l’Australie (8,1), la Russie (7,6), le Canada (5,6), le Japon (4,5), la Nouvelle-Zélande (4,1) et le Royaume-Uni (3,97).

Si l’on additionne les superficies terrestres et maritimes, la France est située comme le Brésil au 5ème rang mondial, après la Russie, les Etats Unis, l’Australie et le Canada.

Ses côtes s’étendent sur 5.600 kilomètres en France métropolitaine, dont 1759 km sur la Manche, 2400 km bordant l’Atlantique et 1700 km sur la Méditerranée.

Grâce à son important littoral et à ses départements et collectivités d’Outre-mer, elle est la deuxième puissance maritime du monde derrière les États Unis et devant l’Australie.

Mais pour asseoir sa souveraineté à l’international elle doit pouvoir rendre opposables ses frontières maritimes. Cette question des frontières maritimes est source de conflits latents par exemple entre la Chine et le Japon mais aussi entre la Grèce et la Turquie.

L’Amiral Coldefy écrit dans son livre « Le sel et les étoiles » : « En mer, il n’y a jamais de temps de paix, on est toujours au contact avec l’ennemi potentiel…le fait stratégique nouveau est que la terre est désormais durablement dans la zone d’action des forces navales…  Le monde marche sur l’eau pour avancer ». 

La souveraineté des États dans le domaine maritime est régie par la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM), entrée en vigueur en 1994 et ratifiée par la France en 1996 mais qu’Ankara n’a jamais accepté, refusant de signer la convention de l’ONU sur le droit de la mer.

Que signifie la ZEE (Zone Economique Exclusive) devenue enjeu stratégique et économique majeure et quel rôle joue-t-elle ? Pour comprendre cette possible guerre à venir, voyons les lois qui régissent le domaine maritime de chaque pays :

La législation de la mer distingue plusieurs catégories de régimes juridiques maritimes selon le critère de l’éloignement des côtes :

Les eaux intérieures, c’est-à-dire en deçà de la limite des zones toujours couvertes par la mer quelle que soit la marée où la souveraineté de l’État est totale.

Les eaux territoriales qui sont comprises entre la ligne de base et une distance maximale au large de 12 milles marins, soit 22,22 km où l’État côtier est alors le seul bénéficiaire de l’exploitation du sous-sol, des fonds marins et des eaux surjacentes, celles possédant des ressources halieutiques. Dans cette zone, les navires étrangers y disposent d’un “droit de passage inoffensif” mais qui peut être suspendu provisoirement par l’État souverain pour des raisons de sécurité intérieure.

Au-delà il existe la “zone contiguë », qui prolonge de 12 milles /22,22 km supplémentaires les eaux territoriales. C’est une zone tampon, où l’État souverain peut effectuer légalement des contrôles afin de réprimer “les infractions à ses lois et règlements douaniers, fiscaux, sanitaires ou d’immigration sur son territoire ou dans sa mer territoriale”.

Enfin au-delà des 24 milles (44,45 km) au large des côtes nationales et jusqu’à un maximum de 200 milles (370 km) à partir des lignes de base entre en vigueur le régime de la zone économique exclusive (ZEE) sur laquelle l’État côtier dispose de “droits souverains aux fins d’exploration et d’exploitation, de conservation et de gestion des ressources naturelles, des eaux surjacentes aux fonds marins, des fonds marins et de leur sous-sol”.

La question des ZEE (Zone Économique Exclusive) est l’enjeu de notre monde actuel. Elle pourrait provoquer un conflit entre les pays autour de la Méditerranée, plus particulièrement dans la zone méridionale de cette mer intérieure car la Convention dite de Montego Bay qui instaura en 1982 la ZEE n’a jamais été ratifiée par la Turquie et son président. Ces règles, la Grèce les revendique mais la Turquie les rejette et montre des velléités d’expansion en multipliant les provocations envers la Grèce.

Les côtes turques et grecques sont  trop proches pour établir des ZEE de 200 milles. Dans ces cas-là, le droit international invite les Etats à négocier des accords bilatéraux pour délimiter leur ZEE à équidistance, mais la Grèce et la Turquie n’ont jamais trouvé de terrain d’entente.

Si la Grèce décidait d’étendre sa mer territoriale à 12 milles, comme elle l’a laissé entendre il y a quelques mois et comme le droit l’y autorise, les Turcs devraient passer par les eaux grecques pour traverser la Mer Egée tant les îles grecques sont nombreuses.

Ce serait « un motif de guerre », a déclaré le président turc début septembre 2020.

« Ils vont comprendre que la Turquie est assez forte politiquement, économiquement et militairement pour déchirer les cartes et les documents immoraux ».

Le conflit gréco turc n’est pas nouveau. Les différends territoriaux entre la Grèce, pays libéré de l’occupation ottomane en 1922, et la Turquie datent de cette époque. Rappelons les échanges de populations lors du traité de Lausanne du 24 juillet 1923 entre Grecs vivant en Turquie et Turcs habitant la Grèce puis la recherche de pétrole en mer Egée par les Turcs qui en 1970 et 1987 avait fait craindre à un conflit armé enfin une fois encore en 1996 alors que les deux pays se disputaient la souveraineté d’îlots en Mer Egée.

Une occupation illicite de territoire étranger donc de violation de l’intégrité territoriale d’un pays par la Turquie et qui dure encore, date de 1974, alors que l’armée turque occupe 37% de l’Ile de Chypre, qu’elle déclara «République turque de Chypre du Nord» (RTCN).

C’est sous le prétexte de cette occupation illégale  que la Turquie s’attribue aujourd’hui le droit de prospecter dans la ZEE au nord de Chypre. Ainsi Chypre devenu membre de l’Union Européenne en 2004, reste partiellement occupé par un pays non européen, tout rattachement de Chypre à la Grèce ayant jusqu’à présent échoué et l’occupant s’attribue de plus son territoire maritime en violation des lois internationales.

Le conflit ne risque pas de s’épuiser, lui qui porte sur la découverte de réserves de gaz naturel dans le sous sol marin qui pourraient s’élever à 5.800 milliards de mètres cubes selon la Commission géologique américaine, soit plus du quart des réserves du Qatar.

En 2018 l’armée turque avec cinq navires de guerre avait menacé dans les eaux chypriotes un navire du groupe italien ENI chargé de l’exploration gazière au large des côtes de l’île en violation totale du droit international et de la souveraineté de la République de Chypre.

En 2020, la Turquie avait envoyé un navire de forage Yavuz au large de l’île, en violation de la zone économique exclusive (ZEE) de la République de Chypre et du 10 août au 13 septembre 2020, le navire de recherche sismique turc « Oruç Reis », escorté par des bâtiments militaires, avait sondé les fonds marins d’une zone ZEE revendiquée par la Grèce. Paris avait envoyé quelques jours plus tard deux chasseurs Rafale et deux bâtiments de la Marine Nationale en Méditerranée orientale pour montrer à la Grèce qu’elle ne serait pas seule en cas de conflit.

Ce à quoi le président turc avait accusé la France de jouer au « caïd ». 

On peut regretter que l’OTAN n’ait pas suivi la France.

Athènes, quant à elle, avait réagi en mettant ses troupes en alerte et le gouvernement craignant une agression turque avait annoncé l’achat de 18 Rafale F3R à l’entreprise française Dassault-Aviation.

Le 10 juin 2020, la Frégate française, le Courbet, alors qu’elle naviguait au large des côtes libyennes pour tenter d’identifier un cargo suspecté d’être impliqué dans un trafic d’armes, a été pris pour cible par une frégate turque.  Agression inacceptable, comme l’a déclaré le Ministre français : «Selon les règles d’engagement de l’Otan, un tel acte est considéré comme hostile». On manière diplomatique de parler de casus belli.

L’Amiral Coldefy, deuxième personnage de l’Armée Française,  y voit « une provocation inacceptable qui n’a rien à voir avec « l’illumination » d’un aéronef, beaucoup plus fréquente et moins belliqueuse. » Il estime « qu’il faut plus que jamais montrer sa force à Erdogan, lui rappeler que l’on ne s’adresse pas à une puissance nucléaire comme à un vulgaire voisin, lui dire que lorsque l’on ne signe pas les accords sur les zones économiques en mer, on s’expose à être sorti du jeu. »

Ainsi il y a à l’intérieur de l’OTAN un membre, donc un allié,  qui se comporte comme un ennemi, puisqu’il en menace d’autres membres.

La France est avec la Grande-Bretagne l’un des deux seuls États membres de l’Union européenne à disposer d’une marine militaire à vocation mondiale. C’est-à-dire d’une force dissuasive et d’une force de frappe capables d’être présentes sur toutes les mers du monde à partir de ses sous-marins ou de ses avions embarqués sur un porte-avions.

Ne peut-on craindre que toute l’Europe ne soit entrainée dans ce conflit, sachant que la Turquie est comme la Grèce et Chypre et 27 autres pays dont 21 de l’Union Européenne, membres de l’OTAN (NATO) ?

La Turquie peut-elle rester dans L’OTAN ? Ne devrait-on pas entamer une démarche d’exclusion de l’OTAN alors que ce pays s’immisce dans la politique intérieure de la France ?

Erdogan rêve d’un nouvel empire ottoman. Jusqu’où ira-t-il pour tenter d’y parvenir? Les tensions entre l’Union Européenne et la Turquie  sont préoccupantes.

Le 10 septembre, la France, la Grèce, l’Italie, l’Espagne, Chypre, Malte, l’Espagne et le Portugal ont prévenu la Turquie que l’UE serait prête à prendre des sanctions si Ankara « ne met pas un terme à ses activités unilatérales ».

Dans cette liste de pays, l’Allemagne n’apparaît pas, alors qu’étant le premier partenaire commercial de la Turquie, ses sanctions auraient un poids. Cela révèle que le gouvernement allemand a peur de sa population turque et fait lâchement profil bas. En décembre 2019 l’Allemagne comptait 1.472.390 habitants de nationalité turque. 2.769.000 Turcs de nationalité allemande. Mais la population d’origine turque dans sa totalité est estimée à environ onze millions de personnes sur une population totale de 83,1 millions d’habitants. Un nombre conséquent qu’il ne faut pas mécontenter au vu des prochaines élections fédérales de septembre 2021, qui décideront du choix du prochain chancelier.

En politique et en diplomatie, la lâcheté n’a jamais empêché la guerre.

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