
Isabelle T. Decourmont
Une fois de plus le courant de l’histoire aura fait un pied de nez aux politologues, hommes politiques, journalistes, observateurs de tout bord et de toute obédience. Aucun d’entre eux n’avait prévu le mouvement populaire qui secoue la Oumma en cette année 2011, 1432 de l’Hégire : deux révolutions, deux régimes renversés en quelques semaines, quelques autres qui tremblent sur leur piédestal.
D’un côté la Tunisie et sa révolution du Jasmin, l’Egypte avec celle que l’on nommera probablement la révolution de la Place Tahir la bien nommée*.
De l’autre l’Occident dit démocratique, qui salue, jubile, approuve ces pays qui « ont secoué le joug de leurs dictateurs » et cela sans infiltration d’agents étrangers, sans la sape de quelque puissance intéressée à ce que des têtes tombent.
Tout cela est presque trop beau pour être vrai !
Seuls acteurs, nous dit-on, quelques jeunes filles et jeunes gens versés dans la science informatique et les réseaux sociaux, qui auraient réveillé la conscience endormie de leurs peuples et les auraient mis sur la voie de la liberté, de la démocratie, des droits de l’homme. Que ou qui fuient-ils donc ces Tunisiens qui demandent asile en Europe ?
Dans un ravissement angélique, les bonnes consciences occidentales applaudissent comme si elles étaient celles qui avaient enfoncé d’un coup d’épaule la porte de l’histoire.
Et comme ceux qui perdent la guerre ont toujours tort, on ne parle pas des morts pro-régime, probablement trois cents début février en Egypte, qui furent aussi vite oubliés qu’enterrés. Que vaut la vie de pro-dictateurs ! Il ya des vies qui valent quelque chose, d’autres qui ne valent rien. La peine de mort doit être supprimée, tous sont d’accord, sauf pour ceux qui sont du côté de l’ennemi.
On ne peut ignorer les avantages qu’auraient les USA et l’Occident à profiter d’un pétrole dont ils fixeraient le prix. Ne nous voilons pas la face, le Raïs de Bagdad n’est devenu un traître à abattre que du jour où il refusa de mettre genoux en terre devant les Américains, refusant d’abaisser le prix du baril, menaçant de ne plus accepter que des euros et non plus des dollars en paiement. En Lybie aussi il y a beaucoup de pétrole. Quant à la gestion du Canal de Suez, elle est un enjeu majeur, sur lequel l’Egypte de Moubarak avait la haute main.
Ce printemps glorieux arrive à point pour les USA afin de faire oublier leur obstination à faire arrêter un jeune homme très futé, Monsieur Julien Assange, qui avait un peu trop mis son nez dans leurs petites affaires privées en publiant les dénommés Wikileaks. Tiens, tiens, il n’y a pas que Monsieur Wael Ghonim qui soit emprisonné sur ordre d’un gouvernement pour des publications intempestives sur les réseaux sociaux! En Occident aussi on met les gens en prison quand ils critiquent les gouvernements ou en montrent les failles ; On les fait tomber par de prétendues affaires de mœurs.
Je dois avouer que je n’y comprends plus rien. L’Europe et les Etats-Unis ne se prétendent-ils pas les protecteurs des droits de l’homme ? C’est peut-être une question d’orthographe, il y aurait homme et Homme.
Je lis que le départ de Kadhafi plairait au gouvernement Obama ainsi qu’aux Européens et à Al Qaida : étrange convergence de points de vue. Un final à la Saddam Hussein pourrait bien terminer les jours du colonel. L’empêcheur de tourner en rond de la main mise américaine sur l’Afrique, le Mashrek et le Maghreb, avait vu son pays et son peuple agressés par les Américains sous des prétextes fallacieux, deux avions libyens abattus en 1981 par l’armée américaine, bombardement de Tripoli et de Benghazi en 1986 faisant une centaine de morts parmi les civils. Cela fait partie des dommages collatéraux, Mesdames, Messieurs et la vie et la mort n’ont pas la même valeur ici et là-bas, je le répète.
Wael Ghonim veut certainement le bien de son pays, même s’il l’a quitté pour connaître une vie prospère en Royaume d’Arabie Saoudite., lui le jeune Egyptien chef du marketing de Google pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. «J’aime à appeler ça la révolution Facebook mais après avoir vu les gens ici, je dirais que c’est la révolution du peuple égyptien. C’est formidable» nous dit-il et les bien-pensants de l’Occident d’essuyer une larme d’émotion devant le fait d’arme d’un tel héros qui a libéré le Moyen Orient et l’Afrique du Nord des affreux dictateurs qui les martyrisaient.
L’imam d’Al Azhar, le cheikh Ahmad Attayeb, le veut aussi le bien de l’Egypte. Est-ce pour cela qu’il ignore les appels à une révolution islamique lancés par l’Iran, disant même que « les politiques iraniennes lancent des appels qui sont à l’encontre des principes de l’Islam, des préceptes du Coran, de la Sunna et de l’entente parmi la Oumma ».
Un pays ne se gouverne pas seulement avec de bons sentiments.
Je ne veux gâcher la joie de personne alors, bien que prudente et même un peu sceptique, je reprendrai des mots historiques de l’histoire de France en les teintant quelque peu d’espoir : « est-ce une révolte ? Non Sire, c’est une révolution. »
Je souhaite au cheval emballé du monde arabe qu’il le conduise, au nom du platonisme et de l’aristotélisme qui fut commun aux cultures du bassin méditerranéen, vers une nouvelle apogée culturelle et économique, un siècle des lumières et non un bain de sang.
*Tahir signifie liberté en arabe
2011-2021.
Dix ans déjà que le bain de sang coule depuis le printemps sinistre que tous saluèrent comme la terre promise.
Rééditer l’article que j’écrivis alors est une réponse aux critiques acerbes que j’ai entendues, à moi qui ne croyais pas au miracle annoncé.
Ne nous racontons pas d’histoire. Démocratie, liberté furent le leit motiv des niais béats de l’idéal médiatique, qui n’ont rien vu arriver, affublés d’une myopie qui les condamne à juger du monde au travers des verres déformants du bourrage de crâne des média, du Diktat de la bienséance de la pensée onusienne, du politiquement correct des droits de l’homme. Etrange référence à toutes les révolutions depuis, que les rivières de sang jaillissant des têtes tranchées de la révolution française, face au récit de laquelle les petits enfants de France mais aussi d’outre-Rhin et d’ailleurs doivent se pâmer de reconnaissance et battre des mains en criant, merci, encore, encore !
2011-2021 : Le réel a rattrapé les bien-pensants.
Création d’un Khalifa aux crimes dignes des hordes mongolo-turques, qui supprimant les frontières entre Irak et Syrie et y semant la terreur, étendit ses tentacules au travers de ces deux pays, dont le premier avait été laminé par les attaques américaines et le second déstabilisé par la sape des Islamistes introduits par les USA. 380.000 morts en Syrie. La Lybie, goulet d’étranglement de l’émigration africaine transformée en quai d’embarquement pour l’Europe, zone de guerre envahie par des troupes étrangères. Le Yémen en proie à la guerre civile et aux attaques des troupes saoudiennes. Bahreïn lui aussi muselé par l’Arabie Saoudite. La Turquie en marche vers une république islamiste. Résurgence du conflit fratricide entre sunnites et chiites. Appauvrissement général des pays arabes prospères avant la révolution.
La Tunisie sera-t-elle, elle aussi, la victime tardive d’une mort annoncée? L’Egypte après avoir vacillé, s’est rétablie. « Main de fer d’un despote » commentent les élites occidentales et les foules lobotomisées. Vous auriez préféré Daesch chers concitoyens, mais je vous en prie, ouvrez vos portes et accueillez-les, si vous préférez les assassins en liberté chez vous plutôt qu’en prison chez les autres, qui eux, en ont déjà goûté jusqu’à l’écœurement de la barbarie et connaissent le vrai visage de l’ennemi de la paix civile.
Irak champ de ruine, Lybie, champ de ruines, Syrie, champ de ruines.
Une remarque en passant : trois pays aux gouvernements qui ne pratiquaient pas la charia et dont les populations non musulmanes ne subissaient pas la persécution.
De quelle démocratie osons-nous parler? L’Iraq démembrée vivante par l’Amérique, les droits de la Lybie à décider de sa politique bafoués par les mollahs occidentaux des droits de l’homme, Corleone aux grands principes qui bombardent au-delà de leurs frontières sans déclaration de guerre et font pendre ou assassiner haut et court les dirigeants qui n’entrent pas dans leur schéma politique.
Il ne reste plus que le Liban à dépecer et à en laisser le cadavre aux charognards.
Après les pays arabes, c’est l’Europe qui perdit le plus en trente ans de guerres menées par les USA, par les armes puis les réseaux sociaux, particulièrement la France qui n’a plus d’alliés dans ces pays et y a perdu son influence.
Quel est alors le vainqueur ? A qui profite le crime est la question qu’il faut toujours se poser devant un cadavre.
20.12.2020