
« Selon que vous serez puissant ou misérable, Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. »
Isabelle T. Decourmont
Voici ce que le grand poète et moraliste français Jean de La Fontaine écrivait en 1678 en morale de sa fable « Les animaux malades de la peste », tableau d’un procès où l’on cherchait le coupable qui par ses crimes avait provoqué le courroux du ciel qui décimait la gente animale : la peste.
Or aucun des prédateurs qui avaient de multiples victimes sur la conscience, lion, tigre, loup, ours ou renard, ne fut tenu pour coupable. Mais le pauvre âne, innocent et sans défense, le fut et mis à mort, lui dont la seule faute avait été de brouter l’herbe du pré.
Chez La Fontaine le petit peuple est la victime des juges, alors que les puissants de tous ordres passent à travers les mailles du filet de la justice.
En France au 21ème siècle la justice semble tout aussi partiale que jadis, mais pour une autre classe de personnages, au vu des comptes rendus de procès d’hommes et femmes politiques. Ils ressemblent trop souvent à des règlements de compte personnels des juges contre des hommes politiques d’un autre bord politique qu’eux, soit la gauche contre la droite. Une question d’idéologie plus que de justice. En témoigne le procès rendu le 1er mars contre l’ex président Sarkozy.
Pour le comprendre, il faut remonter l’histoire du 20ème siècle.
La Gauche, parti socialiste à la base, prend une ampleur considérable avec la création en 1919 de la Troisième Internationale Communiste, ou parti communiste français (PCF), prolongement en France de l’idéologie de la révolution russe d’octobre 1917 et jusqu’en 1989 porte parole de Moscou. Ses militants se retrouvent autant dans les milieux intellectuels que dans la classe ouvrière. Depuis 2007 le Parti Socialiste (PS) et le PCF se sont réunis en un Front de Gauche. Cette Gauche élargie, rose et verte, parfois rouge très foncé et même rouge sang goulag a fait, fait et fera la pluie et le beau temps dans le paysage médiatique et culturel, la vie littéraire, le monde du spectacle, après 1945.
Il n’est qu’à rappeler les librairies françaises dépendant du PC dans les années 50-60, la condition sine qua non d’avoir sa carte du « parti » pour être de ceux dont on parle dans le milieu artistique, littéraire, universitaire et une grande partie de la presse ou les grands « maîtres à penser rouge » de l’après guerre, Sartre et Beauvoir, Aragon et Triolet, les cohortes d’artistes, d’écrivains, hôtes choyés par Moscou, frappés de strabisme – cela on le savait, il suffisait de regarder Sartre dans les yeux – mais surtout de cécité politique, qui au retour d’URSS en parlaient comme du paradis perdu, puisque chargés de la propagande politique marxiste et de la formation de militants dans leur milieu, Aragon entrant même chez Gallimard en 1956.
La Droite n’a pas réagi, bien qu’elle ait vu au fil des années la Gauche s’arroger le monopole de la propagation des Idées, de la présence médiatique, de la morale, devenir les bien-pensants, les défenseurs du peuple, répandant leur vision à la fois idéologique, esthétique et morale du correct et du non correct, c’est-à-dire des valeurs à suivre et de celles à neutraliser, à ferrailler, en les stigmatisant ou en les ridiculisant.
La Droite était prudente car l’oukase est rapide dans ces milieux-là. La Gauche avait vite fait de rappeler qu’une certaine Droite avait été pacifiste avant la guerre et que certains avaient même collaboré avec l’ennemi. Cependant cette même Gauche était frappée d’amnésie en ce qui concernait les millions de morts des dictatures rouges : Union Soviétique, Chine de Mao et toutes les autres à travers le monde.
La devanture de la boutique de la Nouvelle Gauche plaisait à la bourgeoisie et la rendait facile à fréquenter, car elle n’était pas l’image de l’OS (ouvrier spécialisé mais en rien, homme à tout faire de l’atelier) d’une usine automobile qui vivait dans un HLM de la banlieue populaire et était membre vindicatif du syndicat communiste CGT, mais celle d’une « gauche caviar », qui posait le cendrier de son cigare sur une petite pile bien propre d’ouvrages éclairés, petit livre rouge de Mao surmonté de Foucault, Bourdieu, Derrida, Deleuze, Badiou. Arrêtons là sinon il faudra se lever de son fauteuil pour poser son cigare dans le cendrier.
Ce noyautage de la société fut subtil. Il éclata socialement au grand jour en 1968, puis politiquement en 1982. Il s’ancra dans le milieu universitaire, d’abord dans les universités de sciences sociales et humaines et à Normal Sup, d’où sortirent des générations formées par l’enseignement et la pensée des intellectuels énumérés précédemment, puis cela essaima vers les universités de droit dont le NEM, Nouvelle Ecole de la Magistrature, jusqu’au Ministère de la justice à partir des années 80.
Bastions rouges formant des juges rouges, si bien représentés dans le SM, Syndicat de la Magistrature, que même le garde des sceaux, Jean Foyer, la dénoncera comme « une organisation subversive gauchiste » dès 1975, mais aussi sous l’épitoge des juges qui tels des francs tireurs cherchent leur cible parmi les hommes politiques, de droite s’entend ou les patrons d’entreprise, ceux-là toujours de droite selon eux.
Rappelons que la prochaine élection présidentielle aura lieu le 8 avril 2022, que certes N. Sarkozy n’a à ce jour montré aucune intention de présenter sa candidature mais qu’il appartient à un parti de droite, le LR, qui s’effiloche en groupuscules, sans chef reconnu ni candidat officiel pour la future présidentielle et qu’ayant gardé une popularité certaine à droite, il pourrait être rassembleur de la Droite. D’une part face à une Gauche, tout aussi déstructurée, morcelée en communistes, écologistes et multiples groupes extrémistes qui ne veulent pas faire front en une candidature unique. Deuxièmement face au Rassemblement National d’Emmanuel Macron, qui ralliera les franges d’indécis aussi bien à droite qu’à gauche. Troisièmement face au Rassemblement National, qui pourrait remporter la prochaine présidentielle et qui est loin d’être une Extrême Droite ou un nouveau National Socialisme, tel que présenté par les média étrangers, dont les journalistes et correspondants semblent ne plus avoir mis les pieds en France au cours des trente dernières années et ignorer le contenu politique derrière les sigles.
Osons les mots : Sarkozy est un danger pour la Gauche aussi bien que pour le parti de l’actuel président.
Un autre facteur a joué dans le jugement du 2 février. Il est le reflet du contentieux entre le milieu judiciaire et N. Sarkozy.
Bref rappel :
Lors des élections présidentielles de 2007 et de 2012, le Syndicat de la Magistrature.*, connu pour ses positions situées à gauche de l’échiquier politique, appela à voter contre Nicolas Sarkozy.
En octobre 2007, le président, élu malgré l’appel du SM*, avait déclaré en parlant de l’uniformité de la magistrature : «Je n’ai pas envie d’avoir le même moule, les mêmes personnes, tout le monde qui se ressemble aligné comme des petits pois, la même couleur, même gabarit, même absence de saveur» et avait entrepris de réformer la justice.
En avril 2013, un journaliste filma dans un bureau de ce même SM*, un panneau sur lequel étaient collées des photos de personnalités politiques, magistrats, journalistes, syndicalistes policiers et intellectuels, la plupart de droite et en bas duquel était écrit : « Avant d’ajouter un con, vérifiez qu’il n’y est pas déjà.» Fameux scandale !
Le SM n’a visiblement pas dirigé les « petits pois ».
Reprenons les éléments du procès :
Les protagonistes : un ex-président de la République, Nicolas Sarkozy, avocat de son métier ; un avocat, Me Herzog, par ailleurs son ami et son avocat ; un ami de Me Herzog, Me Azibert, magistrat à la cour de cassation.
L’accusation : corruption et trafic d’influences.
N. Sarkozy aurait promis par le truchement de Me Herzog, son avocat et ami, à Me Azibert, magistrat à la Cour de Cassation, un poste à Monaco, en échange de renseignements sur un pourvoi qu’il avait formé ou sur une influence sur son traitement.
Le jugement : le 32ème Tribunal Correctionnel de Paris a requis à l’encontre de l’ex-président français, Nicolas Sarkozy, trois ans de prison, dont un ferme pour corruption et trafic d’influence (qui est ainsi très habilement écarté des prochaines élections).
Même peine pour Me Azibert ainsi que pour Me Herzog et de plus interdiction pour celui-ci, âgé de 65 ans, d’exercer pendant 5 ans, ce qui signifie sa mort professionnelle.
Les faits : N. Sarkozy n’avait pas besoin de renseignements puisque son pourvoi avait été refusé et lui reconnu non coupable dans l’affaire du pourvoi. D’autre part, il n’est jamais intervenu auprès du Prince de Monaco pour une quelconque demande de poste concernant Me Azibert. Ce que confirment les autorités monégasques.
Toutes les accusations s’avèrent donc sans fondement et dénuées de sens. Les preuves n’existent pas, le verdict ne parle d’ailleurs qu’au conditionnel de « faisceau d’indices au travers de bribes de conversation qui en soi n’ont pas de sens mais mises ensemble pourraient prouver quelque chose ». Donc aucune preuve irréfragable.
Justice équitable ?
Depuis quand condamne-t-on sur des faisceaux d’indices, sur des intentions ?
Par contre la justice a enquêté au mépris des lois : on ne peut mettre sur écoute les conversations entre un avocat et son client.
La justice ne doit pas intervenir dans les élections. Or ce procès arrive quelques mois avant le début de la campagne présidentielle en éliminant par son jugement un candidat, comme elle l’a fait en condamnant F. Fillon au cours des dernières présidentielles.
Elle a mis le prévenu six ans sous écoute. Une quantité inconcevable de moyens pour une justice en mal de moyens.
Enfin les arrières plans idéologiques : le PNF, Parquet National Financier, chargé de l’enquête, avait été créé en 2013 à la demande du Président socialiste François Hollande, pour se charger des enquêtes financières de grande envergure touchant les atteintes à la probité, aux finances publiques et au bon fonctionnement des marchés financiers.
Or cette affaire n’est en rien financière, n’est donc pas du ressort du PNF. De plus, les Procureurs alors nommés par le gouvernement socialiste sont encore en place. Connaissant la couleur politique des magistrats, on peut mettre en doute leur impartialité face à des prévenus de droite.
La France est-elle un pays où certains politiques risquent d’être jugés coupables, qu’ils le soient ou non, par une justice qui empiète de plus en plus et de plus souvent sur un domaine autre que judiciaire pour enfiler l’habit du politique ?
Où demeure alors la division des pouvoirs si chère à Montesquieu et gage de justice et de démocratie ?
Henri Guaino ose parler de « chaos judiciaire, antichambre du chaos institutionnel et du chaos démocratique »
C’est étrangement François Mitterrand qui sonna peut-être les premiers coups de tocsin, quand il prononça ces mots :
« Méfiez-vous des juges, ils ont tué la monarchie, ils tueront la République. »