
Isabelle T. Decourmont
A nos chers anciens qui nous ont quittés, à ceux qui partiront seuls, sans nous à leur côté
On nous annonçait quatre mille victimes de l’épidémie à la mi-avril 2020, soit quatre semaines après le début du confinement en France et les premiers morts dus au virus. La mort ne frappait, disait-on, que les personnes âgées, morts faciles à répertorier en maison de retraite.
Un an plus tard, il y aurait eu quatre vingt neuf mille morts de l’épidémie en France dont vingt quatre mille morts dans les maisons de retraite, mais les chiffres sont flous, masqués eux aussi. Ma phrase est au conditionnel.
Plus on annonce de morts, plus la population apeurée se terre dans la bergerie autour de son berger et l’élection est dans un an. Ceci n’était qu’une remarque ingénue.
La mort est le destin de tout ce qui naît et vit sur cette planète et elle n’est pas le sujet de mon propos, qui porte lui, sur les conditions de vie qui entourèrent toutes les personnes séjournant en maison de retraite depuis la mi-mars 2020, malades, victimes ou bien portants, car tous ne furent pas atteints par le virus, tous ne succombèrent pas à la maladie, nombre d’entre eux se portent fort bien mais subirent les mêmes lois drastiques que ceux qui agonisèrent et moururent dans la solitude entre les quatre murs d’un EHPAD.
Six cent mille personnes vivent dans sept mille deux cents établissements EHPAD dont presque la moitié est publique, ces derniers pour les personnes aux revenus plus modestes et auxquelles ils offrent des prestations en rapport, modestes, elles aussi.
Tous les résidants ont été enfermés, ont subi l’interdiction de visite et l’interdiction de sortir, tenus hors de portée des leurs, incarcérés, à l’isolement, rendus muets, invisibles, intouchables, vivants-morts avant que de l’être, morts. Sans mot de consolation, sans regards échangés, sans caresses, sans baisers, sans contact, sans parole entendue, échangée, sans soutien pour ceux qui firent face au grand passage, au dernier voyage, à l’au revoir qui est adieu, avant même que d’être des cadavres glissés dans un sac étanche scellé, sitôt le constat de décès tombé comme un couperet.
Néant avant le néant du tombeau, avant que leur corps happé par les flammes ne se métamorphose en flocons de cendres insaisissables, cadavres interdits aux regards de leur famille, de ceux qui les ont aimés, choyés, qui les pleurent, qui souvent ne pourront assister à l’enterrement, parce que la loi le leur interdit.
Pour les protéger nous dit-on. Pour nous protéger leur dit-on.
EHPAD devenu prison de Haute Sécurité.
Que se cache-t-il derrière cet acronyme, demanderez-vous, un de plus, qui ne dit rien mais laisse supposer ce que l’on veut nous faire croire. L’anagramme serait-il plus parlant ? Cinq lettres. Je ne trouve que « au dépotoir », mais elle contient cinq lettres de trop. Et pourtant le mot dépotoir correspondrait si bien en la circonstance.
Le Larousse en donne la définition suivante :
« En langage familier, au figuré : Ce qui sert à recueillir un reste humain, matériel, de qualité médiocre.»
Et plus encore en accord avec les faits puisque l’étymologie du mot indique que dépotoir est issu du verbe dépoter.
Le mot qui convient est trouvé : dépoter.
Petits vieux, petites vieilles dépotés, puis mis au dépotoir.
Mot qui raconte toute une histoire, celle de la plante arrachée du pot, du petit monsieur, de la petite dame, qui se sentait si bien chez lui, chez elle, dans son petit chez soi, et qui seront rempotés dans une chambre inconnue, stérile, vide, 4 x 4, douche, WC, un lit étranger, style lit d’hôpital, une façon de vous préparer au pire, un placard en mélaminé blanc, facile d’entretien, facile à désinfecter en temps de Covid, le même que celui qu’ils avaient chez eux pour y ranger leurs balais. Mais ici destinés à ranger leurs vêtements, le peu de vêtements qu’ils ont eu le droit de prendre, marqués à leur nom, comme ils les emmenaient enfants pour partir en colonie de vacances. Petit plus du confort façon EHPAD, la cantine au rez de chaussée. Purée, viande hachée, compote. Dégradé de beige sur assiette incassable.
Les « restes humains de qualité médiocre », selon la définition du Larousse, sont-ils inférieurs ou supérieurs dans l’échelle des valeurs passées à la loupe de la linguistique à des restes de gens de médiocre qualité ? Linguistique ou pas, cette définition existe dans le dictionnaire français et face à certaines pratiques actuelles pourrait s’appliquer dans notre société à certains petits vieux et petites vieilles.
Dans les EHPAD, on y trouve des êtres humains, mais oui des hommes et des femmes, des gens comme vous et moi, enfin comme vous et moi un jour prochain, plus tard, quand nous ne serons plus rentables pour la société, celle qui produit, celle qui consomme. Quand nous serons vieux et édentés, car tout le monde ne peut s’offrir les belles dentitions des acteurs de la scène médiatique, quand nous ne consommerons plus grand-chose, quand nous ne servirons plus à rien. Quand on encombre, direction placard à balais.
Rassurez-vous, EHPAD est en fait un acronyme et d’après la description qu’ils donnent d’eux-mêmes sur le papier glacé des prospectus, cela pourrait signifier : « Epanouissant Hôtel Pour Ainés Dignes. »
Quelle belle perspective. N’aimerait-on pas si précipiter avant que d‘être classé antiquité ébréchée.
Mais ne pourrait-on faire basculer le A, qui tête en bas deviendrait alors un V, comme vieillard, vieux, vétuste, vestige et transformerait EHPAD en EHPVD, un mot impossible à prononcer donc à écarter, car le français est langue harmonieuse, chantante, de poésie, de consonnes et voyelles alternées, de ah ! étonnement, de eh ! cela suffit ! de ihihih ! le fou rire, de oh ! l’émerveillement, de uh ! celle-ci peu usitée depuis que les chevaux ne tirent plus le soc des charrues.
Mais revenons à notre rempotage, le prospectus donne envie de se faire de suite rempoter. D’ailleurs certains entrent dans ces endroits dès l’âge de la retraite, vers 65 ou 67 ans en Suisse et en Allemagne, probablement bientôt à 70 ans au Japon, beaucoup plus tôt en France, l’âge de la retraite y étant peu après 55 ans pour une partie privilégiée de la population et même avant pour ceux qui sont encore plus privilégiés, les mêmes qui auraient sûrement voté la loi d’Abolition des Privilèges, dans la nuit du 4 Août 1789, à condition qu’elle s’applique aux autres, cela s’entend !
La perspective d’une trentaine d’années à s’éteindre à petit feu dans un EPHAD, un tiers de la vie, horreur, et si on ajoute le tiers de la vie que l’on passe à dormir, que la vie est courte !
Rappelons-nous les manifestations de ceux qui en France, il y a deux ans, s’indignaient que l’âge de la retraite soit reculé.
Se déprécient-ils à ce point eux-mêmes, leur vie, leur travail, ce qu’ils ont fait, créé, ce qui a absorbé tant d’heures de leur existence, pour vouloir quitter, renier, oublier au plus vite ce qui fut jour après jour le contenu quotidien d’une bonne moitié ou plus de leur existence d’adulte. Jeter sa vie comme une guenille, se défroquer d’une vie de travail, ce mot jadis glorifié, dont J. Bertaut disait dans ses œuvres poétiques écrites en 1611 que le travail était actions difficiles, périlleuses, titre de gloire pour ceux qui les menaient.
Le travail, l’ouvrage d’une vie !
Qu’en est-il de la belle ouvrage, ici féminin quand on parle du « bien fait ». N’avez-vous donc pas de cœur à l’ouvrage ? L’ouvrage ainsi décrit en 1464 par « le travail qui permet de gagner sa vie » dans une lettre du Roi Louis XI, lui-même.
Ouvrage synonyme d’œuvre, gros œuvre de la maison, qui tient l’ensemble de la bâtisse. Œuvre qui devra être pour le Compagnon le Chef d’Œuvre qui fera de lui un Maître.
Ouvrage. Labeur. Œuvre. Un rêve de sens. Sens qui surgit quand la main qui agit rejoint le cœur qui anime.
Mais après tout si vous cherchez le dodo sans métro ni boulot et trouvez la vraie vie de labeur trop fatigante, alors quittez la vie, retrouvez la maison de retraite pour personnes âgées, l’EPHAD, le calme du confinement au milieu d’individus sans cesse présents autour de vous, une vie fantôme de « séjours vacances all inclusive (TDLA: tout inclus) et de personnel dévoué, à vos petits soins. C’est mieux que de crever seul de solitude dans son appartement.
Pardonnez-moi de vous avoir mené en barque, je voulais vous raconter la vie en rose. Le sens de l’acronyme EHPAD est tout autre, il signifie :
« Etablissement d’hébergement pour personnes dépendantes ».
Dépendantes de quoi ? Cela n’est pas précisé dans le prospectus.
Si vous l’êtes à l’alcool, je vous conseillerais plutôt les groupes bienveillants d’alcooliques anonymes. Pour ceux qui le sont à la drogue dure, les séjours hospitaliers de désintoxication conviennent mieux et si vous l’êtes au chocolat, les conviviaux Weight Watchers feraient l’affaire.
Néanmoins attendez pour devenir dépendants ! On ne peut plus circuler en ce moment, ni aller dans les groupes d’aide, ni à l’hôpital, car les hôpitaux sont surchargés. Alors pas d’alcool, pas de Marie Jeanne, pas de chocolat. Pas trop de ce dernier. Tout doit être mesuré dans notre société qui élève les restrictions au statut de priorité. Et surtout ne pas vieillir, ce n’est plus à la mode, celle-ci est au jeunisme. Souriez, on vous regarde. Les caméras sont partout.
Alors échappons-nous en lisant Madame de Sévigné (1626-1696) qui écrivait à sa fille dans une de ses lettres: « Prenez du chocolat afin que les plus méchantes compagnies vous paraissent bonnes ».
La grande dame savait de quoi elle parlait. Alors apportez du chocolat à vos chers parents et amis enfermés dans leur cage de pestiférés. Les chocolateries ont rouvert leurs portes. Par autorisation gouvernementale.