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Au fil des mots [fr]

Barreaux, Cage et Cerisier en Fleurs

Isabelle T. Decourmont

Les mots ont disparu. Où se sont-ils tapis? Partis depuis que le silence s’est installé autour de nous, nous, frappés de silence. Où les retrouver? Aux aguets au creux des livres, immobiles, silencieux et secrets, prêts à surgir au moindre signe des pages entrouvertes ? Enfuis sur les pas des interlocuteurs désormais interdits ?

Les bouches ne s’ouvrent plus. Les bouches restent closes. Les bouches sont invisibles. Les mots. Où sont-ils passés ? Anéantis. Derrière les masques, écrasés par les interdits, transis de peur.

Les mots ne s’envolent plus. Leur écho absorbé par le mutisme tapi au fond du gouffre des silences imposés.

Assujettie au silence. Je me tais.

Sourds nous le deviendrons de ne plus entendre les mots, les paroles interdites de séjour dans les grandes salles désertées du non-dit imposé.

A qui sourire quand le sourire de l’autre est une absence en blanc, bleu ou noir qui dévore la face. Ni lèvres qui s’entrouvrent, ni fossettes qui se creusent.

Aller et venir. Je vais et viens d’une fenêtre à l’autre. Ouvertures rectangulaires qui cadrent le ciel, rétrécissent l’horizon, faussent la perspective. Je passe d’une pièce à l’autre, d’une boite à l’autre. Boites dans la grande boite qui s’appelle une maison. Une maison de pierres, de ciment, de béton. Une maison immuable qui tombera en poussière. Un jour. Ecrasée, implosée, sous le poids des vies étriquées qui n’ouvrent que sur elles-mêmes. Nos maisons figées qui ne savent offrir les horizons improvisés, inventés, extensibles de la  maison japonaise, espace flexible à réinventer, où champ et contre champ valsent et tourbillonnent, abattent le quatrième mur, qui s’ouvre ou se ferme, telle une scène au rideau baissé ou relevé vers un minuscule jardin à la profondeur infinie, née de la magie du décor végétal aux perspectives inversées.

Ici entre mes murs immobiles, je fais les cents pas. Pas perdus. Moi, perdue. Va et vient, la tête tournée vers l’illusion de liberté dessinée au-delà, j’avance dans un sens puis dans l’autre, la tête tournée  à droite à l’aller, à gauche au retour sur un au-delà fracturé.

Promesses d’un ailleurs qui au fil des mois mutent en illusion et mensonge.

Dans ce cube de survie où je tourne en rond, qui ne s’ouvre que sur la liberté d’un passé à jamais gommé, d’un avenir sans cesse repoussé, il n’est plus comme issue que l’infini des cieux imaginé au delà des rideaux.

Au-delà des masques et des seringues, des menaces et des interdits, là où se situe le dehors, habillé en menace, mais qui n’est qu’un décor de carton pâte qui se disloquerait d’un bon coup d’épaule s’il était porté par tous en même temps. Alors réapparaitrait la vie rayonnante, palpitante, indestructible, immanente.

Ouvrons la boite aux siroccos, aux zéphyrs, aux brises et aux bises, laissons les bourrasques, le simoun, le khamsin purifier l’air de nos poumons  rabougris, chasser nos haleines fétides.

Le printemps s’est annoncé, capricieux, habillé de neige, de grand soleil, de froid pénétrant et de chants de mésange.

Ce matin en ouvrant les volets, un voile de gemmes précieux redessine le décor. Illusion ou réalité. Un peu des deux. L’éphémère beauté de milliers de papillons de soie végétale rosée surgis des branches décharnées de l’arbre endormi devant ma fenêtre du monde occidental.

Le temps et l’espace sont-ils abolis ? Me suis-je envolée cette nuit vers Yoshino et ses impalpables plafonds roses de fleurs de cerisiers,  ai-je retrouvé ma petite chambre ouverte sur l’immensité du minuscule jardin planté d’un cerisier qui déversa au détour d’un vent divin pendant quelques jours de printemps sur le tatami de ma chambre de fragiles pétales de fleurs de cerisier, cadeau d’anniversaire de mon vingt deuxième anniversaire.

Le souvenir est un voyage intérieur. Nul besoin de billet. La clef en est le désir qui ouvre tous les horizons. Nous sommes ici et ailleurs. Dans le temps, hors du temps.

Le ciel s’est couvert.

Pluie retiens tes gouttes, ne flétris pas avant qu’elles n’aient offert leur beauté au monde les fragiles fleurs de cerisiers.

L’arbre était mort m’avait-on dit. Et le voilà ressuscité. La question de l’arbre me rappelle celle du chat de Schrödinger, enfermé dans une boite, à la fois mort et vivant.

Mais cela est une si longue histoire et les mots sont comptés alors je vous la raconterai la semaine prochaine.

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