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Au fil des mots [fr]

Les expressions françaises (première partie)

Isabelle T. Decourmont

La langue française est riche en expressions et proverbes. Ils viennent d’époque où les modes de vie et la façon de penser était différents de ceux de ce siècle mais leur infaillible justesse car elle se rapporte à l’humain trop humain, leur sagesse, leur humour font tomber le cloisonnement qu’auraient pu leur imposer les marqueurs du lieu, du temps, du langage qui les virent naître. De nos jours de moins en moins employés, il est important de leur redonner vie, en rappelant leur origine et en expliquant le sens qui a franchi allègrement les siècles.

En un demi-siècle, la baisse du niveau de culture générale et l’appauvrissement de la langue à la fois écrite et orale dans l’ensemble de la population française, au-delà de sa variété sociologique, ont produit un rétrécissement du champ lexical qui s’accélère de génération en génération.

Un lycéen moyen n’emploie plus en 2021 qu’environ 600 mots dans ses compositions écrites et probablement moins dans ses conversations de la vie courante. Les  textes des auteurs des XVIIIème et XIXème siècles deviennent de ce fait en grande partie abscons pour les lecteurs de 2021.

Les grands auteurs classiques étaient nos meilleurs enseignants de la langue. Ne plus les lire, ne pas avoir à sa disposition grâce à la lecture un vocabulaire riche, varié, précis, afin de pouvoir exprimer sa pensée, ses raisonnements, ses sentiments avec justesse et précision, conduit à ne plus savoir ni s’exprimer, ni penser, ni juger sainement le monde qui nous entoure, pas plus qu’à acquérir la distance nécessaire vis-à-vis de ses propres sentiments, de ses impulsions, de ses émotions afin d’y mettre un peu d’ordre, d’éviter la frustration de celui qui manque d’arguments, de n’être pas le jouet de ses instincts ou d’insidieuses influences extérieures.

Promenons-nous dans le vaste patrimoine de la langue française.

L’actualité sociale et politique pourrait être commentée au travers d’expressions qui, quoique remontant aux temps passés, gardent leur pertinence et leur validité.

Les gens « ne se sentent pas dans leurs assiette » depuis quelques mois. La cause en est due aux  médias autant qu’aux décisions contraignantes des trois pouvoirs, qu’il soit l’exécutif, le législatif ou le judiciaire, à qui les Français pourraient dire : « vous nous bassinez ! ».

Abrutis, terrorisés par les ordres qu’on leur assène en boucle et les menaces qui s’abattent sur eux et l’abattent, « ils agissent alors comme des moutons de Panurge ».

Hélas « nous ne sommes pas sortis de l’auberge », c’est à en « perdre la boussole ».

Toutes expressions applicables au bon peuple de France, mais à bien d’autres ce me semble. Hélas nous ne pouvons « filer à l’anglaise » sur quelque île tranquille pour fuir le tintamarre médiatique et l’outrance des dirigeants qui ont » perdu la boule ».

Vous ne vous sentez pas dans votre assiette ? Non, je ne vous parle pas de celle que vous posez sur la table du petit déjeuner pour y déposer vos tartines mais d’une autre assiette, à laquelle les cavaliers auront certainement pensé.

L’assiette est la façon d’être posé ou assis sur quelque chose. A cheval, elle est la position du cavalier en selle et ne pas y être en équilibre, la perdre, risque fort de lui faire mordre la poussière.

Par extension l’assiette signifie une position stable. Ainsi celui qui n’est pas dans son assiette se sent mal à l’aise, indisposé, malade. A moins que ce ne soit son esprit ou son humeur qui souffre, quand il n’est pas dans une disposition ordinaire de son esprit.

Anatole France écrit dans « Le petit Pierre » (1918) :

« De retour chez la comtesse Michaud, nous trouvâmes dans la salle à manger… Qui? … Le papegai sur son perchoir. Il s’y tenait d’une assiette tranquille et accoutumée et semblait ne l’avoir jamais quitté ».

On peut lire dans la correspondance de Flaubert : «  Enfin! Me revoilà à peu près dans mon assiette ! J’ai griffonné dix pages, d’où il en est résulté deux et demie. J’en ai préparé quelques autres. » Correspondance, 1853.

On parle également en aéronautique de l’assiette d’un avion, en art nautique de celle d’un navire, leur équilibre dans l’air ou l’eau.

Elle est aussi pour une voie ferrée sa stabilité : « la solidarité qui existe entre l’ensablement et les diverses pièces qui entrent dans la superstructure du chemin. »

Au sens figuré l’assiette est la stabilité d’une relation. De Gaulle dans ses Mémoires de Guerre, évoquant les Anglais, écrit : « ils poursuivaient certains objectifs précis, là où l’assiette des États et les situations acquises, n’étant pas encore fixées, offraient à l’ambition britannique des possibilités de manœuvre et d’extension »

Enfin dans le domaine fiscal, l’assiette fiscale est la base de l’imposition. Dans le cas d’une hypothèque, c’est le bien immeuble garantissant une dette ou un crédit. Enfin dans l’art de la reliure, l’assiette est la composition étendue sur la tranche d’un livre avant sa dorure.

Souhaitons que nous retrouvions le plus tôt possible notre assiette et que nous n’ayons pas à « filer à l’anglaise » !

Certes nombre de Parisiens ont filé à l’anglaise alors que la menace d’un confinement strict pesait sur la population française en mars 2020. Ils sont partis le plus discrètement possible, sans prévenir, et surtout pas les autorités administratives. Ils ont retrouvé dans une maison de vacances, une résidence secondaire, chez une tante ou des grands-parents en province, un peu d’espace, un jardin, le droit de respirer à pleins poumons sans masque et sans être tracés par le GPS de la force publique.

Et les Anglais me demanderez-vous, seraient-ils moins courtois que les Français ? Ne sauraient-ils pas dire au revoir en partant ? Seraient-ils les maîtres de l’art de partir « en catimini » ? Eux auxquels on associe les mots fair-play ou gentleman!

Voudrions-nous nous venger de leur expression « To take French leave » qui est la traduction en miroir de « filer à l’anglaise » ?

Maintes explications existent.

C’est dans l’édition du Larousse de 1890 que l’on peut lire la définition suivante :   adv. à l’anglaise (partir, s’en aller, filer) « (s’en aller) sans prendre congé ». Mais Fr. Sarcey (1827.1899) déjà, utilisait l’expression : « Quand on se tue, on ne prend pas de confident; on file de ce monde discrètement, à l’anglaise ».

Si l’on revient à l’étymologie du mot anglais, il dérive de « Angles », le nom d’un peuple germanique établi dans la presqu’île du Jutland, l’actuel Danemark, qui envahit par le nord au Vème siècle la Britannia, nom donné par les Romains à l’Île que l’on nomme de ce fait aujourd’hui Angle-terre : Terre des Angles.

Mais le mot Anglois (en français ancien) ou Anglais avait également un autre sens que celui d’un habitant de l’Angleterre. Il désignait au XVème siècle un créancier acharné à obtenir ses créances.

Ceci n’explique pas cependant l’origine de l’expression. Ne viendrait-elle pas alors de l’argot où le verbe anglaiser signifiait voler. Celui qui en détrousse un autre, qui l’anglaise, ne le crie par sur les toits et aurait plutôt intérêt à disparaître le plus discrètement possible, d’où filer à l’anglaise.

Il existe un synonyme de « filer à l’anglaise ». Moins élégant certes. C’est « pisser à l’anglaise ».

La guerre entre Français et Anglais n’aura-t-elle de cesse ? Les guerres sur mer et sur terre se poursuivent par des invectives, joutes verbales, moins mortelles que les précédentes mais tout aussi douloureuses ? « Pisser à l’anglaise » signifie que l’on désire échapper à une situation inconfortable. Le mot Anglais vient ici du nom que les élèves de l’école militaire de Saint-Cyr, les Saint-Cyriens, donnaient à leurs latrines.

On prétexte alors avoir « un besoin pressant », en d’autres termes, devoir aller à l’Anglais, c’est-à-dire aux toilettes, mais pour en réalité disparaître par la même occasion.

En d’autres termes, c’est « prendre la poudre d’escampette ». Nouvelle énigme à découvrir. L’escampe était la fuite et escamper, c’est-à-dire s’échapper un terme militaire que l’on retrouve par exemple dans le voyage de Marco Polo en 1298.  Ou pour rester dans le vocabulaire des militaires. « lever le camp sans tambour ni trompette ».

Je crains que filer à l’anglaise ne soit pour un temps indéfini et indéfiniment long, pour certains d’entre nous, ceux qui ne possèdent ni pass sanitaire, ni pass vaccinal, un rêve irréalisable, alors que tous les moyens de transports en commun sur longue distance leur deviennent interdits.

Alors  où se cacher dans ce monde verrouillé où les hommes sont parqués et marqués comme des moutons dans un enclos et se comportent comme des moutons de Panurge ?

Beaucoup de moutons se promènent dans les verts pâturages de nos expressions. « Revenons-en donc à nos moutons ».

Pour en revenir à nos moutons et à ce Panurge, il faut ouvrir « Le quart Livre des Faicts et dicts heroiques du bon Pantagruel », roman que François Rabelais, personnage érudit et truculent, fit paraître en 1552. Il était aussi médecin et avait étudié à l’université de Montpellier, première université de médecine fondée en Europe.

Au cours du récit, Pantagruel, le héros de l’histoire, navigue sur la mer avec ses amis, dont Panurge. Ils croisent un navire marchand, engagent la conversation avec l’autre équipage, mais l’entretien entre Panurge et le marchand qui transporte des moutons sur son bateau se gâte alors que ce dernier se moque de son accoutrement.

Panurge, vexé, décide de se venger. Il achète au marchand un mouton et la transaction faite, il jette l’animal par dessus bord dans la mer, à la suite de quoi ses bêlements désespérés provoquent la panique de l’ensemble des animaux, qui affolés, se jettent à sa suite dans l’eau, entrainant le marchand Didenault et tout l’équipage, qui tentaient de les retenir.

Panurge grâce à sa ruse est vengé, le personnage du roman devient célèbre et le mouton devient le symbole de l’animal stupide.

Rabelais avait déjà constaté la stupidité du mouton, animal grégaire, dégénéré par l’élevage, incapable d’une tactique de fuite efficace en cas de danger, que les bêlements de peur affolent et  qui ne sait que suivre l’ensemble du troupeau, ce que les bergers déplorent, car si un seul saute dans un ravin, tous le suivent « comme un seul homme ». Cette réputation l’animal l’avait déjà à l’époque d’Aristote, cité par Rabelais dans son ouvrage :

  « Panurge sans autre chose dire iette en pleine mer son mouton criant & bellant. Tous les aultres moutons crians & bellans en pareille intonation commencèrent soy iecter & saulter en mer après à la file. La foulle estoit à qui premier saulteroit après leur compaignon. Possible n’estoit les en guarder. Comme vous sçavez estre du mouton le naturel, tous iours suyvre le premier, quelque part qu’il aille. Aussi le dict Aristoteles lib. 9. de histo. animal. estre les plus sot & inepte animant du monde. »

A voir comme la population mondiale, sans différence notable entre les différentes nationalités, transie de peur face à la dite menace de pandémie du virus sars cov2,  obéit au doigt et à l’œil à tous les ordres les plus contradictoires, se plie à toutes les obligations les plus mortifiantes, les plus contraignantes et contraires à l’hygiène la plus primaire du corps et de l’esprit, ainsi qu’aux interdictions les plus absurdes, on peut se demander si le cerveau humain n’a pas rétrogradé au niveau de celui des ovidés.

Quand le berger veut que les moutons rentrent dans un enclos ou à la bergerie, il crie au loup, ouvre la porte, y pousse un mouton, tous s’y engouffrent à sa suite. Ceux qui affolés tournent en rond, comme pris de la danse de Saint Guy, sont poussés par les chiens qui aboient et les mordent au flanc.

La ressemblance entre le comportement des moutons et celui de mes contemporains est tragiquement comparable.

Il suffit de parler de crise et de danger mortel, de les nommer sanitaires, climatiques, terroristes pour pouvoir manipuler les foules, les rendre folles, les jeter dans le ravin sans grand effort, puisqu’elles s’y précipitent d’elles-mêmes en bêlant de façon assourdissante.

Ont-elles perdu la boussole ? Parlons-en une prochaine fois….

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