
Isabelle T. Decourmont
Ce n’est pas une exposition de plus sur la ville ensevelie sous les cendres au premier siècle de notre ère. J’ai visité jadis Pompéi et l’inoubliable Musée Archéologique de Naples dans lequel sont exposés fresques, objets quotidiens et précieux, statues, le trésor inégalable des œuvres qui y furent découvertes et pourtant cette exposition fut une expérience nouvelle et inoubliable : Pompéi ressuscitée le matin avant son anéantissement grâce à une scénographie qui mêle savamment documentation et émotion dans une dramaturgie spatio-temporelle spectaculaire, qui nous dévoile les nouveaux trésors et les connaissances acquises lors de la dernière période de fouilles.
Pompéi, ce sont 66 hectares ensevelis en trente heures, dont 44 ont été déblayés en deux siècles, souvent de facon anarchique et destructrices, dont les 22 restants s’affaissent sous le poids du manteau volcanique qui la couvre encore, que Massimo Osanna, le Directeur Général du Parc Archéologique de Pompéi depuis 2014, non seulement travaille à dégager mais il a « un projet global de réaménagement du site, qui vise d’abord la mise en sécurité des bâtiments déjà explorés ». Lente progression qui amena des découvertes spectaculaires, dont certaines sont exposées au Grand Palais : fresques, bijoux, mosaïques, statues, meubles, vaisselle, amulettes, instruments de musique et même un graffiti remettant la date de l’éruption en question.
Le visiteur pénètre dans l’exposition par une rue, celle des Balconii, recréée sur les parois par des projections de façades de maisons sur lesquelles les habitants de la cité romaine se déplacent en ombres chinoises, artisans au travail, commerçants attendant le chaland, promeneurs. Face à nous, bien au-delà de la rue, le Vésuve se dessine sur un ciel radieux. Au centre du Corso, des vitrines présentent les objets nouvellement découverts, à droite et à gauche la rue s’ouvrent sur des domus – maisons – qui proposent des expositions thématiques. Peu à peu le ciel se couvre de nuages, des grondements se font entendre « semblables à des mugissements » (Dion Cassius), des volutes de fumée jaillissent du sommet du volcan, le nuage s’amplifie, la salle s’assombrit peu à peu, une illusion de ponces et de cendres martèlent le décor qui nous entoure. Nous sommes soudain un habitant de la ville qui va disparaître ce 17 octobre 79. Le bruit devient assourdissant, « soudain se fit entendre un immense craquement, comme si des montagnes s’écroulaient et d’abord d’énormes rochers furent projetées aussi haut que le sommet », une vague de cendres semble se précipiter sur nous, quelques instants d’obscurité totalité, le silence de mort qui s’ensuivit à jamais, qui pour nous ne dure que quelques secondes : la machine à remonter le temps nous ramène avant le drame. Le soleil revient, nous pouvons continuer notre visite.
Image 1 L’éruption du Vésuve, Pierre Henri de Valenciennes, 1813, Musée de Toulouse
La Domus I présente l’ensemble de l’histoire de la cité romaine, construite sur un plateau constitué d’accumulation de laves qui domine la mer d’une trentaine mètres. Le volcan a en effet dessiné la morphologie de la baie de Naples au fil des millénaires. La ville est très ancienne, elle était un port prospère dès le 7e siècle avant notre ère. Le temple d’Apollon et le temple Dorique en sont les témoins. La ville était entourée d’une enceinte dotée de treize tours et percé de sept portes. Son tracé est régulier, en rues se croisant à angle droit, pavées de blocs de basalte, pierre volcanique, judicieusement pourvues de hauts trottoirs mettant les piétons à l’abri des éclaboussures des roues des chariots. Autour d’un forum situé au sud ouest, vers le port, se regroupaient la vie publique et religieuse, les temples, le marché, les thermes, la piazza, le théâtre.
La Domus II retrace une histoire des fouilles depuis que Charles III d’Espagne lança la première campagne de fouilles en 1748. Mais la ville fragile est menacée par l’effondrement de la masse de décombres qui la couvre encore, ainsi que par un manque de soins, par exemple de consolidation aux constructions dégagées de leur chape de roches. C’est ainsi que la maison des gladiateurs s’est effondrée il y a peu de temps. L’autre danger est l’altération des décors, des stucs, des surfaces livrées aux intempéries et à l’humidité des sols. C’est avant tout contre cela que Massimo Osanna agit. Non seulement poursuivre les fouilles et le dégagement du site, mais restaurer et consolider.
La Domus III raconte les découvertes faites depuis 2017 dans la région IV. Elles fournissent des indices sur la vie des habitants grâce aux rues, maisons, tavernes nouvellement mises à jour. Pour exemple les grandes inscriptions électorales rouges ou noires tracées chaque année sur les murs avant les élections de mars, qui appelaient à voter pour un candidat. Deux édiles géraient les biens publics, deux duumvirs dirigeaient la vie publique et « disaient le droit ». On peut y lire par exemple « élisez Caius lulius Polybius, il fournit du bon pain ».
Dans l’atrium de la Maison au Jardin on a découvert un graffiti au fusain induisant que l’éruption eut lieu le 24 octobre 79 et non en août, comme on le crut jusqu’à présent. Probablement un copiste se trompa en recopiant le manuscrit de Pline ou de Tacite, « le 9 avant les calendes de novembre », devint « le 9 avant les calendes de septembre ». Or :
« il s’est livré à la nourriture avec excès XVIKNOV »
soit le 17 octobre, date ultérieure au 24 août 79 où aurait eu lieu l’éruption. D’ailleurs la date correspond mieux aux fruits tardifs qu’on trouva dans les maisons : châtaignes, grenades, noix et noisettes, baies de laurier, qui tous ne sont mûrs que bien après août.
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Le graffiti de la Maison au Jardin
Le dégagement des nouvelles habitations montrent que les aristocrates n’étaient pas seuls à bénéficier de décors raffinés et d’installations très élaborées. On sent un besoin de surprendre et d’émerveiller ou simplement de s’émerveiller, celle d’une époque attachée à son bien-être où l’extraordinaire se même au quotidien. Parois et tableaux peints racontent les récits d’Homère, mais représentent également la mythologie romaine et les légendes locales, celle d’hercule par exemple, qui donna son nom à l’autre ville toute proche, elle aussi engloutie sous les cendres, Herculanum. La maison romaine était confortable, belle, agrémentée de salles à manger, de jardins, de fontaines, pourvue d’eau courante, la ville disposait de nombreux bains publics, une trentaine, offrant tous les équipements souhaités pour les soins corporels : bains, promenades, gymnase, salles d’eau chauffées, ce qui était particulièrement agréable en hiver quand le temps se rafraichissait et que les maisons étaient froides. Les thermes étaient ouverts à tous les citoyens, hommes libres, esclaves, femmes, enfants.
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Maison de Cuspius Pansa. Atrium et Impluvium
La Domus IV est consacrée aux fresques. Les très nombreuses œuvres conçues sur une période de 300 ans permettent de suivre l’évolution de la peinture au fil du temps. Dès la seconde partie du 19e siècle, August Mau avait classé les styles présents à Pompéi en 4 catégories : le premier datant de – 200 à – 80 av. J.C. employait du stuc pour imiter les dalles de marbre présentes dans les demeures grecques. La période suivante, de – 8o à + 20, représente en perspective des ensembles architecturaux ou des paysages, donnant l’impression que le mur s’ouvre sur l’extérieur ; Le troisième style préfère les parois monochromes dans lesquelles s’insèrent de petits tableaux aux thèmes mythologiques, mais la relative sobriété du troisième style se transforme dans les dernières années avant l’éruption en une profusion de motifs floraux, de bordures chargées de détails minutieusement peints, de sujets apolliniens et dionysiaques, folie de contrastes chromatiques, telles des tapisseries s’agitant au vent.
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Massimo Osanna, Directeur du Parc Archéologique de Pompéi, dévoile une scène animalière qui vient d’être découverte dans la région V.
Une salle est particulièrement émouvante : celle où sont montrés les moulages des corps. Bien qu’il y ait eu des tremblements de terre depuis le début de l’été, peu d’habitants s’inquiétèrent. Ce n’est que vers 13 heures, au début de l’éruption, que les habitants comprirent ce qui se passait. Le volcan expulsa un nuage de gaz et de pierres ponces qui s’éleva à 32 km de haut. Pline le jeune sur une autre rive à quelque distance du lieu, en fut témoin et le raconte dans un récit qu’il adressera beaucoup plus tard à l’historien Tacite et qui nous parviendra. Beaucoup d’habitants eurent le temps de fuir mais ceux qui n’étaient pas partis à temps cherchèrent à se protéger en se calfeutrant chez eux et moururent asphyxiés, ceux qui fuir trop tard furent pétrifiés par le choc thermique. La cendre les recouvrit tous et les conserva dans les poses de leur atroce agonie. On retrouva deux petits garçons qui se tiennent encore par la main et tiennent une tuile au dessus de leur tête pour se protéger. Dès 1863, Guiseppe Fiorelli, le directeur des fouilles, mit au point une technique d’injection de plâtre à l’intérieur de la cavité des moules formés par la couche de cendres durcies qui entouraient les corps, ceux-ci s’étant décomposés à l’intérieur, l’espace vide était l’exacte forme corporelle du défunt, humain ou animal.
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Moulage de corps
Il y a beaucoup plus à voir et à écouter. De nombreux dispositifs numériques interactifs permettent d’approfondir ses connaissances. Venez à Paris au Grand Palais y voir cette extraordinaire exposition prolongée jusqu’au 27 septembre 2020.