
« Ré-ensauvageons la France Plaidoyer pour une nature sauvage »
Isabelle T. Decourmont
Quand un grand naturaliste, Gilbert Cochet, lettres de noblesse : Musée National d’histoire de Paris, plus de dix ouvrages, président de l’association « Forêts Sauvages », décide de partir en randonnée à travers la France avec Stéphane Durand, biologiste de savoir et de terrain, ornithologue, conseiller scientifique des trois films sur les éléments et la faune tournés par Jacques Perrin et salués dans le monde entier, cela donne un livre fascinant, inquiétant mais plein d’espoir également, donnant matière à réflexion au travers d’un récit riche de connaissances, de réflexions et d’ observations sur le terrain. Il nous présente la France, ses données géologiques, climatiques, ses cours d’eau, ses forêts, ses montagnes et ses plaines, sa flore, sa faune, en un mot, un état des lieux de tout ce que l’on désigne par le mot nature au travers d’une histoire qui commence par ce qu’elle fut fort loin dans le passé, grâce à leurs connaissances encyclopédiques. Le livre imagine également ce que cette nature dévastée pourrait redevenir si …
Ce SI dépend de nous, de l’attitude adoptée, de nos décisions prises dès aujourd’hui. Cela s’appelle Vision, Connaissances, Éthique, Décision, Action.
Les 13 chapitres de l’ouvrage sont un voyage du passé vers l’avenir en passant par le présent. Dès l’introduction un bilan et un message d’espoir : « la nature possède toutes les ressources pour panser ses plaies, il suffit que l’homme aménageur et prédateur se retire pour laisser place à l’homme contemplatif.» Les données naturelles du territoire français favorisent une large biodiversité grâce à sa situation sur le 45° parallèle et son climat tempéré, ses 500.000 kms de cours d’eau, ses 5500 kms de côtes maritimes pour la seule France métropolitaine, sa géologie diversifiée née d’une ancienne mer qui couvrait presque toute sa surface et laissa après son retrait d’énormes couches de sédiments, de ses montagnes formées au primaire et au tertiaire, alliant des sommets érodés, telles les Vosges et les hauts sommets alpins ou pyrénéens.
Et pourtant dans les années 70, l’état des lieux est accablant : la France semblait irrécupérable. Quelques siècles de nature vandalisée avaient suffi à détruire ce patrimoine admirable. Surexploitation des forêts, montagnes pelées par le pastoralisme, versants de montagnes déboisés pour y faire pousser des villes vouées aux sports d’hiver, cours d’eaux aménagés, canalisées, tronçonnés par des barrages, zones humides drainées, mers, lacs, étangs vidés par la surpêche, côtes bétonnées pour l’habitation et le tourisme, disparition d’une grande partie de la faune sauvage.
Qui sait que l’élan y disparut au 10e siècle, l’auroch au 12e siècle, le bison au 7e siècle ? Ce n’est donc pas une race exogène à l’Europe que l’Allemagne a réintroduite en milieu naturel. Le dernier loup gris fut tué en 1939, le dernier phoque en 1930, la grue cendrée était éradiquée en 1830, la tortue caouanne de Corse en 1932, le bouquetin des Alpes en 1860, l’ours en 1937 dans les Pyrénées, le dernier lynx boréal fut éliminé en 1923 et beaucoup plus loin dans le temps, le cheval sauvage disparut de notre pays 3000 ans avant notre ère. Eradiqués furent également les charognards : vautour, chacal doré, glouton et les loutres, castors, oiseaux de toutes tailles. Le magnifique dernier grand tétras des Alpes périt en l’an 2000. On chassa jusqu’au dernier spécimen la cigogne noire, l’aigrette, l’ibis, la chouette de l’Oural et le dernier spécimen de grue cendrée en 1830, Ne sont cités ici que quelques « grands animaux », le livre est moins exhaustif. Les causes : disparition du milieu, chasse à outrance, disparition de leur nourriture.
Problème général de la faune en Europe : non ! Dans le reste de l’Europe beaucoup moins d’espèces ont disparu, « par contre au niveau français, on a fait le ménage par le vide » constatent les auteurs et cette attitude n’appartient pas au passé Si l’on prend l’exemple du lynx et que l’on compare sa réintroduction en France et dans les pays limitrophes, le résultat est douloureux : en Allemagne entre 2000 et 2006, 24 lynx furent relâchés dans le Harz, aucun ne fut tué, les forêts de Bavière en compte une vingtaine, probablement venus de Tchéquie, à l’ouest du pays, dans le Palatinat, une vingtaine viennent d’être réintroduits. Dans toutes ces régions des petits ont été repérés, partout leur population augmente. En Suisse entre 174 et 1975, 2 lynx furent relâchés dans le Jura suisse. On en compte aujourd’hui 120 environ dans le Jura suisse et une trentaine dans les Alpes suisses.
Et en France : les 21 lynx relâchés dans les Vosges entre 1983 et 1993 ont tous été tués par des braconniers. Le dernier il y a quelques mois.
Que peut-on ajouter, sinon se voiler la face en tant que Français.
Cet ouvrage est une source d’informations, d’explications, de solutions. On apprend que l’autorégulation s’instaure de façon naturelle entre prédateur et proie quand la densité naturelle est atteinte : si la quantité de proies diminue, le nombre de prédateurs diminue de même. C’est le cas chez toutes les catégories d’animaux dont la fertilité et la reproduction varient en fonction de la quantité de nourriture présente. Peu de faines de hêtre, de noisettes et de glands, moins de progénitures chez les écureuils. Là où il y a des loups et des lynx, les forestiers ne se plaignent pas de forêts endommagées par les biches, les cerfs et les chevreuils. Ils sont aussi efficaces contre les sangliers qui détruisent tant de cultures agricoles.
Quittant la terre ferme, le livre nous emmène dans une découverte passionnante des milieux où eau et terre se rencontrent: côtes, fleuves, bassins fluviaux, forêts alluviales, baies, marais côtiers, étangs, graus, forêts sauvages. Celles-ci étant humides grâce aux pluies, aux crues des cours d’eau et parce que non drainées, l’eau percole lentement jusqu’aux nappes phréatiques, source d’hydratation pour les arbres en période sèche. Elles sont de plus un milieu particulièrement riche pour la faune.
D’autres chapitres nous expliquent la vie et le développement du milieu rupestre et de la forêt de plaine, de la végétation de montagne, du paysage méditerranéen rendu aride par l’action de l’homme, de la faune et de la flore de chacun d’entre eux, du lien entre les deux, de leur destruction, de leur régénération, de ce qui reste à faire.
Le souhait des deux naturalistes de laisser s’épanouir une « nature sauvage » pourrait surprendre, voire choquer, si l’on ne revient pas au sens premier du mot.
« Le mot sauvage vient du latin sylva…et depuis dix mille ans…toutes les conditions sont réunies pour que l’Europe, soit couverte de forêts…que seules mers et montagnes peuvent stopper… Pourtant depuis 5000 à 6000 ans, les hommes coupent et défrichent, brûlent et drainent ». Les forêts furent l’écosystème le plus vaste de France et le plus riche d’Europe. Il faut réintroduire les forêts de plaine. En Pologne dans la forêt naturelle de Białowieża, on dénombre 12000 espèces et 8300 dans la forêt de Massane dans les Pyrénées Orientales. Les parcs nationaux ont été un premier pas vers un retour de la biodiversité.
Les auteurs estiment que la France devrait se doter d’un Conservatoire des forêts comme il y existe déjà un Conservatoire du Littoral, qu’il ne devrait y avoir que deux sortes de forêts : les forêts naturelles et les forêts exploitées de manière écologique. La forêt attire la pluie, nous rappelle les deux biologistes. Il faudrait supprimer les essences exotiques, combler les drains pour que l’humidité naturelle revienne et que les arbres « puissent patauger dans l’eau », restaurer les corridors entre les régions forestières pour que la faune forestière puisse circuler et que les grands prédateurs et leurs proies aient suffisamment d’espace pour se nourrir et se reproduire. Alors que 90% de la forêt est découpée, morcelée, surexploitée par l’industrie forestière.
Autre constat troublant : nous avons une population de faune sauvage moins importante que celle de nos voisins européens et ceci n’est lié qu’à la chasse à outrance pratiquée en France. « C’est un problème culturel, pour ne pas dire psychologique » écrivent les auteurs. Pour preuve, le débat de la semaine passée sur la chasse à la glu que le Ministère de l’Ecologie voulait supprimer, mais celui-ci recula devant la pression d’une poignée de chasseurs de la région du sud-est de la France qui pratiquent encore cette chasse innommable de cruauté, consistant à capturer les oiseaux avec de la glu déposée sur des baguettes ou des branches d’arbres, d’où les chasseurs les en arrachent. Leur argument : ce serait une chasse traditionnelle.
La glu ne choisit pas ses victimes, elle attrape aussi bien espèces protégées, espèces en voie d’extinction, qu’espèces dont les chasseurs ne veulent pas. Tous finissent déplumées, estropiés, tués. Allain Bougrain-Dubourg, le président de la Ligue de Protection des Oiseaux, l’équivalent de NABU en Allemagne, a réagi par ces mots : « A l’heure où la biodiversité s’effondre, et en particulier les oiseaux, s’amuser à coller, étrangler ou écraser des dizaines de milliers d’entre eux, en plus du fusil, est juste irresponsable. » D’autant que cette chasse est interdite en Europe depuis 1979.
Il faut cependant mentionner les initiatives prises depuis quelques années qui portent leurs fruits. On découvre que la faune et la flore vont beaucoup mieux depuis la suppression de digues, polders, enrochement de berges de rivières et barrages inusités. Ceci permit aux saumons, lamproies et truites de mer de remonter vers leur zone de frayage, aux fleuves d’interagir avec la mer, qui peut alors se mélanger à la terre et aux eaux douces, où des poissons viennent frayer, où les oiseaux qui y trouvent de la nourriture reviennent ou y sont réintroduits avec succès. Les fleuves et rivières libérés de digues à leur embouchure, de leurs barrages, peuvent couler plus rapidement, les estuaires ne sont plus alors des bassins de vase, comme l’est encore l’estuaire de la Seine, ils y déversent les sables et galets qu’ils charrient depuis leur source, apportant des sédiments aux plages, évitant le recul des côtes, favorisant le retour d’une faune diversifiée, d’un milieu côtier vivant et évolutif. Il fut un temps lointain où l’on voyait dans la Seine à Paris, des marsouins, des phoques venus de la Manche et des saumons qui pouvaient remonter jusque dans leurs frayères du Morvan. Quand rivières et fleuves sont libérés des murs de béton qui les font « couler droit », quand on permet les débordements sur des rives boisées où les arbres poussent les pieds dans l’eau sur « des couches d’alluvions riches, que chaque crue épaissit un peu plus », ils atteignent une haute taille, ils vieillissent plus vite, offrent du bois mort qui reste au sol, lui-même couvert d’une végétation riche en plantes, amphibiens, insectes, oiseaux, chauve-souris. Le limon, déposé dans les champs pendant les crues, rend la terre naturellement fertile pour les paysans.
On ferme le livre sur sa dernière page avec regret, on voudrait un deuxième livre et plus encore. On a beaucoup appris et compris, on voudrait partager ce savoir et agir. Envie d’aller à la rencontre de la nature « sauvage et libre », agir pour l’aider à remplir notre espace géographique mais également faire savoir, faire comprendre et faire aimer ces autres vivants qui ont été sacrifiés par un humain qui se crut omnicompétent et omnipotent.
Ré-ensauvageons la France Gilbert Cochet Stéphane Durand Collection Mondes sauvages Editions Actes Sud
ISBN : 978-2-330-09616-8