
Isabelle T. Decourmont
Prix Goncourt, Prix Médicis, Prix de l’Académie Française, Prix Renaudot, Prix Femina, Prix des Libraires, Prix Interalliés etc.…
Le prix littéraire, une institution française, dont chacun en France a entendu parler, même s’il ne les lit pas ou ne lit rien d’autre que ses tweets. Car « Les Prix Littéraires », cette institution française qui apporte à l’inévitable rentrée un souffle de rêve, de poésie, d’irréalité, d’évasion, revient immanquablement au temps de la nostalgie des vacances, de la chute des feuilles dans les parcs parisiens.
« La rentrée » : expression intraduisible désignant l’automne, septembre, où après un été désert, Paris retrouve ses habitants, ses parlementaires, ses activités, sa vie culturelle, le retour à l’école, à l’université ou au travail mais aussi les manifestations, les possibles grèves des syndicalistes, qui l’automne revenu, feront comme chaque année, beaucoup marcher ou désormais pédaler les Parisiens.
Pour oublier le quotidien vive la lecture, vive nos librairies, plus nombreuses en France que dans aucun autre pays, vive le livre, en tête des cadeaux que les Français se font à Noël et les prix littéraires qui les font vendre.
On en parle, on suppute, on parie, on soupèse, on attend. Fébrilement. Les éditeurs plus que tout autre, car un prix est une année sauvée, les journalistes, qui scrutent, enquêtent, sondent, les heureux finalistes de l’ultime liste de concurrents dont chacun se croit déjà l’heureux élu. Enfin, les Français.
Le jour J, devant le restaurant Drouant, lieu du sacre et du repas étoilé qui suivra la remise du prix, l’arrivée du « Goncourt » de l’année sera guettée par les caméras nationales et internationales. Il ou elle fera la Une des journaux télévisés de 20 heures. Car le prix de l’Académie Goncourt est le nec plus ultra pour un auteur, prix qui récompense « le meilleur livre en prose de l’année » selon les vœux de son créateur, l’écrivain et journaliste Edmond de Goncourt.
Le prix littéraire, sacre et reconnaissance du monde parisien des Lettres, rite d’intronisation dans le monde des grands de la littérature. Quel jeune auteur, écrivant son premier roman n’en aura pas rêvé !se voyant déjà édité en milliers d’exemplaires, son roman ceint du fameux bandeau rouge, tel une couronne de laurier sur l’auguste tête d’un César. Il s’imagine se glissant incognito dans une librairie ou un kiosque de gare pour entendre les mots magiques : « le dernier Goncourt, s’il vous plaît ».
Le nom de l’auteur, on ne le connait pas, on l’a déjà oublié, on ne veut pas lire Gaudé ou Enart mais °Le Dernier Goncourt°.
Au fil des mois, encore plus des années, le nom célèbre d’une saison ira souvent rejoindre la liste sans fin de ceux qui finissent oubliés, vendus au poids à des bouquinistes. Vous rappelez-vous d’Ernest Pérochon, René Maran ?
Peu d’auteurs rejoindront dans leur rêve de gloire ceux qui s’appelaient Proust, « A l’ombre des jeunes filles en fleur » Goncourt 1919, Malraux, « La condition humaine », Goncourt 1933 ou Romain Gary et Emile Ajar, deux noms mais un seul et même homme, qui remporta deux fois le Goncourt grâce à ce subterfuge.
Le quartier parisien des éditeurs : Saint Germain des Prés, célèbre aussi pour ses cafés littéraires, le Flore et les deux Magots et dans les rues duquel on peut apercevoir sur une banquette de moleskine au fond d’une brasserie ou dans une des charmantes ruelles serpentant entre la Seine, Saint Sulpice et le théâtre de l’Odéon, un écrivain en vogue, un philosophe de salon, germanopratins qui pour rien au monde ne quitteraient ce quartier et dont certains refusent de visiter un éditeur qui aurait eu l’idée saugrenue de s’exiler dans le XIIIème arrondissement, à quelques 2500 mètres de là, autant dire en Terra Incognita. Car les éditeurs déménagent depuis vingt ans. Saint Germain, un quartier trop cher qu’il faut hélas quitter à l’heure des ventes en ligne.
Alors pourquoi les deux auteurs français actuels les plus vendus en France et dans le monde, Marc Levy et Guillaume Mousso, dont les best- sellers sont vendus à des millions d’exemplaires, sont-ils ignorés par les jurys ? Snobisme français. Morgue parisienne. Goût de l’entre-soi des intellectuels. Dédain envers le goût populaire. Un peu de tout cela peut-être. Pour le savoir j’ai lu le dernier roman de l’auteur à 50 millions d’exemplaires : Marc Levy, son discours lors d’une émission littéraire m’avait intéressée.
« C’est arrivé la nuit ». Neuf personnages. Huit trentenaires, qui ne se connaissent pas semble-t-il, quatre hommes, dont l’un n’est qu’un nom, l’autre sur lequel rien n’est révélé, les deux autres, personnages incarnés et intéressants, quatre femmes, toutes un peu difficiles à supporter et dont je ne ferais d’aucune mon amie intime, le neuvième personnage, anonyme, intervenant de temps à autre pour dévoiler les arrière-plan en de courts entretiens, avec l’auteur je pense, et répondre à ses questions, qui sont aussi les nôtres au fil de ce récit d’initiation à la face cachée de l’internet, aux réseaux sociaux, au darknet, à l’intranet, à tout ce que l’on soupçonne, sans en imaginer le millionième. Ils habitent Oslo, Londres, Paris, Rome, Madrid, Tel Aviv, Istanbul, Boston et Kiev.
Nous entrevoyons les arcanes de ce qui fait la vie de huit hackeurs aux cibles de premier choix : hommes politiques dont le Premier Ministre anglais, gouvernements populistes , un personnage lié à l’extrême droite qui pourrait être en relation avec des individus préparant un attentat, à Oslo probablement, des patrons de l’industrie pharmaceutique aux pratiques douteuses, BMW et ses filtres truqués, la Deutsche Bank, les paradis fiscaux en général, tout ce qu’il faut pour plaire à la fois aux Tiers Mondialistes, aux pro et antidémocrates, aux pro et antirépublicains américains, aux Verts clairs ou foncés, aux pro ou anti Brexit, et même à ceux qui traversent la Méditerranée sur des rafiots de fortune.
Le jour, ils sont des gens très bien, tous installés dans une vie professionnelle rassurante et même recommandable, prof de droit à l’université, chefs d’entreprises à succès, journaliste du Haaretz, patron d’un restaurant étoilé. La nuit ils s’infiltrent dans les comptes bancaires, la vie privée, les agendas, le système de surveillance des demeures de leurs victimes, aussi facilement et rapidement que vous et moi retrouvons nos clefs après quelques minutes de recherche au fond de nos sacs ou de nos poches.
On peut regretter que les personnages, qui veulent dénoncer les dérives de la société capitaliste, libérale et consumériste (dont ils font cependant partie et profitent), soient si outrageusement dans la mode du temps, c’est à dire outrancièrement politiquement corrects dans leurs idéologies, manichéistes primaires, les bons à gauche, les méchants à droite, en un temps où catégoriser en gauche et droite n’a plus guère de sens.
Pauvre Cordelia, ces « salopards », comme vous nommez ceux que vous traquez, dans le langage peu châtié qui est le vôtre, auront-ils votre peau ? Les aventures amoureuses de deux des personnages, si peu faits pour se plaire, m’ont laissé dubitative. Le roman n’y gagne rien et le Romain y perd de la superbe et du mystère. Mais il fallait bien mettre un peu de battements de cœur dans ce monde virtuel de codes, touches de claviers, écrans, firewall. Quant aux grandes tirades humanitaires des hackeuses, sont-elles là pour affubler des militantes pures et dures d’un peu d’humanité ou pour rappeler que l’auteur se place du côté des bien-pensants ?
Qu’a fait Marc Levy dans une vie antérieure pour pouvoir parler aussi bien des cybermilitants et raconter l’envers du décor comme le feraient un certain Monsieur Julian A. ou Edward S. tous deux ennemis publics N°1 ?
Si vous ne jetez pas votre téléphone portable ni ne fermez vos comptes facebook & Co en refermant le roman, c’est que vous êtes définitivement perdu pour le peu de libre arbitre qui vous reste dans cette grande prison des corps et des esprits qu’est devenue notre planète bleue. Pire qu’Orwell. Ce roman, dystopie hallucinante, tient le lecteur jusqu’à la dernière page où la plus inattendue des fins l’attend. Plus j’avançais dans ma lecture, que les pages de gauche augmentaient et celles de droite diminuaient, plus mon esprit d’analyse peinait à imaginer une sortie du tunnel. A quelques pages de la fin, je devins fort perplexe. Puis tomba le dernier mot du livre. Une issue de secours inattendue.
Marc Levy est très fort pour harponner le lecteur.
A bientôt Monsieur Levy. Je serai au rendez-vous.
Marc Levy.C’est arrivé la nuit, éd. Robert Laffont, Paris. ISBN : 9782221243572
Erratum : Nous prions les lecteurs de nous excuser pour les erreurs et coquilles contenus dans l’article du 3 janvier sur « Les déshérités » de F.X. Bellamy. Il fallait lire : « les causes de ce naufrage culturel de la société française, de sa langue, de son niveau général sont admirablement analysées par Bellamy ». « Traité de pédagogie, L’Emile, basé sur les prémisses suivantes ». « L’échec dans la tentative de réhumanisation de l’enfant sauvage de l’Aveyron alors qu’il était déjà adolescent, est la preuve de la déshumanisation de l’individu quand il ne reçoit enfant, aucune transmission humaine. »