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Au fil des mots [fr]

En marche vers l’Etat totalitaire?

Isabelle T. Decourmont

Chère cousine,

Merci pour votre lettre dont j’ai fort apprécié les descriptions amusantes et vivifiantes de vos charmantes soirées entre amis et des concerts auxquels vous allez en famille dans cette belle ville où vous résidez.

Vous me demandez de vous conter mon quotidien. Je crains de vous paraître morose et ennuyeuse, peut-être même misogyne, tant l’air du temps me paraît ici irrespirable. Je ne parle pas seulement de l’éther raréfié qui pénètre nos poumons au travers des masques qui nous sont imposés, imaginez chère cousine, même en privé on nous le recommande ! Quand viendront-ils nous espionner jusque dans l’intimité de nos demeures. Cela me rappelle les sombres heures de la Stasi et après certaines déclarations de certains hommes politiques je ne m’en sens pas loin. Revenons à l’autre, l’air ambiant qui imprègne les esprits, l’atmosphère qui empoisonne nos cerveaux et trouble notre vision des choses tant les médias répandent un vent de panique encouragé par les autorités en place qui brandissent l’image de la mort et de la maladie comme punition à notre désobéissance civile et envoie devant les écrans les grands prédicateurs de la fin des temps qui débitent le nombre de morts quotidiennes et celles qui pourraient advenir. Leurs informations ressemblent à des prédictions astrologiques. Voici les termes exacts du discours du Président en octobre :

« Nous pourrions – certains le préconisent – ne rien faire, assumer de laisser le virus circuler. C’est ce qu’on appelle la recherche de « l’immunité collective » c’est-à-dire lorsque 50, 60% de la population a été contaminée.

Le Conseil Scientifique a évalué les conséquences d’une telle option.

Elles sont implacables : à très court terme cela signifie le tri entre les patients à l’hôpital. Et d’ici quelques mois c’est au moins 400 000 morts supplémentaires à déplorer. »

Ils devraient tous écrire des romans de science fiction, ce serait plus distrayant pour nous.

Notre quotidien se réduit aux « essentiels ». La formule ferait sourire si elle ne nous précipitait pas dans le domaine de l’absurde. Avant de développer ce point, laissez-moi vous présenter les acteurs principaux de ce drame moderne, qui hélas n’a la beauté ni de Cromwell ni de Lorenzaccio.

Le Président, élu au suffrage universel, c’est-à-dire par chaque personne majeure de ce pays, un dénommé Macaron, en même temps (pour employer un mot qu’il affectionne particulièrement) citron et café, car il fait grincer des dents les uns et énerve les autres. Son bras droit, le Premier Ministre, personnage surgi des tiroirs de l’administration de province dans laquelle il fut délégué de ceci et de cela, se nomme Monsieur Cassetête, à moins que ce ne soit Cassetoi. C’est ainsi que l’a nommé, me semble-t-il, mon voisin.

Vous savez comme les effets de manche du monde politique m’intéressent peu et qu’arrivée depuis peu dans ce pays, il m’est encore étranger, d’où mes incertitudes.

Le troisième personnage de ce triumvirat est un médecin, Dr Vérin, tout à fait conforme à la machine dont il porte le nom, à double effet fonctionnant par va et vient mais je le soupçonne d’être plutôt à air comprimé avec fluide sous pression, ce jeune homme très fils de bonne famille, jeune premier en costume italien, en proie à des crises d’hystérie dès qu’on ne lui obéit pas à son coup de sifflet. L’énergie de son air comprimé, probablement par le masque, est transformée en violentes apostrophes adressées aux députés, ceux qui, après tout (non avant tout), sont là pour représenter le peuple. Comme ils n’avaient pas voté dans le sens qu’il avait souhaité, il leur a dit : « fichez le camp, sortez d’ici si vous ne faîtes pas ce que je vous dis de faire ». Je suppose qu’il employa d’autres mots mais c’est ainsi que ma concierge m’a raconté la séance au Parlement qu’elle avait suivie à la télévision. Aussitôt dit, aussitôt fait, le Parlement a revoté et le décret est passé. A vos ordres Docteur. Vive la démocratie !

Nous sommes désormais en République Sanitaire : « santé, égalité, fraternité ». C’est un système aussi opaque que les républiques bananières dont le cri de rappel est « à vos masques et planquez-vous ! »

Résultat du vote : nous sommes remis en cage, avec autorisation d’une promenade de santé, masqué, de soixante minutes et d’un kilomètre linéaire dans des rues vides et devant des boutiques et des magasins fermés. Ne riez pas, ayez pitié de nous. Lueur d’espoir : si nous sommes sages nous aurons, peut-être, le droit d’une promenade prolongée à Noël.

Revenons aux biens essentiels autorisés par décret du 22 octobre, corrigé le 3 novembre de cette même fatale année 2020. Seuls les supermarchés sont ouverts, autorisés à la vente de produits alimentaires et d’hygiène. Ô bonheur, nous avons encore le droit de nous laver. Mais pas de se maquiller : maquillage interdit à la vente. On peut acheter les journaux mais ni les livres, les CD et DVD. Lire est semble-t-il d’après Monsieur Cassetête non essentiel, tout au moins pas la littérature. Je suppose que lui-même ne lit que les cours du CAC 40, les courbes du chômage et sa courbe de popularité donnée par les sondages d’IPSOS.

Continuons notre promenade dans les allées du supermarché, seul endroit avec les bus et les métros transportant les gens se rendant au travail, où l’on rencontre des êtres humains. A gauche, les vêtements et chaussures pour bébé et enfants jusqu’à 3 ans. Pour les habitants de ce pays qui ont plus de trois ans, il a été décrété que les vêtements et chaussures sont non essentiels. Le jean du gamin de 6ans est trop petit, les baskets de l’adolescente de 15 ans laissent passer l’eau, tant pis pour eux, ils n’avaient qu’à ne pas grandir aussi vite et moins marcher pour ne pas user leur semelle ! CQFD

Fleurs vraies ou en plastique, bijoux, ameublement, décoration pour la maison, couverts, vaisselle (assiettes, verres, bols) sont derrière les chaînes. Par contre les casseroles ne le sont pas. Probablement parce qu’on peut faire cuire ses nouilles dans la casserole et les y manger après. En se passant la casserole de l’un à l’autre autour de la table, je suppose. Je pense à Meursault mangeant ses œufs sur le plat à même la poêle après la mort de sa mère. Ce détail a-t-il joué contre l’étranger de Camus et amené les jurés à le condamner à mort ? Imaginez que ce détail fasse jurisprudence ! A vos assiettes citoyens !

Heureusement, la peine de mort a été abolie en France.

Les Grands Fonctionnaires et membres du Gouvernement (avec majuscule, noblesse oblige) ont une conception innovatrice, étonnante, inattendue de l’essentiel et du non essentiel. Discutable aussi.

Je voulais m’acheter des gants fourrés, il commence à faire froid en ce début de novembre, ils étaient là, à portée de main à quelques centimètres sous la bâche de plastique, derrière la chaîne, qui séparait l’essentiel du non essentiel. Quel dilemme ! La tentation de les voler…Vade Retro Satana…j’ai résisté chère cousine. Je serai héroïque, les mains glacées.

En ce 12 novembre au soir, le Premier Ministre s’adresse à la nation.

Cela ne m’intéresse pas de vous écouter Monsieur Le Ministre, vous me rappelleriez le fou que je voyais de la fenêtre de mon bureau, qui se promenait dans le parc de l’hôpital psychiatrique, poussant dans un landau inexistant un chien tout aussi inexistant à qui il chantait Frère Jacques dormez-vous. Vous promenez dans votre tête une France peuplée d’habitants de moins de trois ans. Les autres n’existent pas et c’est pourtant à ceux-là que ce soir vous vous adressez et à qui vous faîtes la morale, que vous empêchez de sortir, de travailler, de rendre visite à leur famille, que vous condamnez à la faillite de leur entreprise, à la neurasthénie, dont vous brisez les vies. C’est vous et vos collaborateurs qui fabriquez des billets de banque à volonté comme de faux monnayeurs en délire. Quand paierons-nous notre pain avec une brouette de billets comme les Allemands en 1923 alors que le dollar valait 18 000 marks en janvier et monta à 4 200 milliards en novembre de la même année ?

Chère cousine excusez-moi, j’ai du vous perdre dans une allée du supermarché parmi les vêtements pour bébé, calculant combien de chaussons fourrés-âge 2ans, il me faudrait, pour fabriquer mes moufles.

Vous me demandez ce que nous désirerions pour Noël. Pour les enfants des jeux, ceux-ci étant classés par nos technocrates, Cassetête and C°, comme non essentiels. Le ridicule ne tue plus chère Cousine, sinon il y aurait de la vacance au pouvoir.

Joyeux Noël dans vos forêts nordiques.

Je vous embrasse.

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