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Au fil des mots [fr]

Lettre à mes amis musulmans

Isabelle T. Decourmont

A quelques-uns d’entre vous, amis musulmans sur la terre de France, j’ai proposé de venir boire un thé chez moi.

J’avais besoin de vos paroles, de votre présence, de vivre un moment de communion comme nous en vivions sur les terres d’Orient.

Avec vous, mes amis musulmans d’alors. En souvenir d’un temps et d’un lieu où nous vivions en si belle harmonie tous ensemble, Musulmans de toute appartenance, Maronites, chrétiens syriaques, Chaldéens, Coptes, Arméniens, Alaouites et tous les autres, avant que le Moyen Orient n’explose sous les bombes, nous tous qui avant de nous définir comme membres d’une communauté religieuse ou d’aucune, nous nous sentions des êtres humains, tous semblables, tous égaux, voués ici bas au même destin, celui d’être incarnés dans un corps de chair entre notre naissance et notre mort, mais dotés d’un cœur et d’un esprit qui nous faisaient communier dans l’amitié réciproque et de fructueuses conversations. A vous mes invités, comme vous le faisiez pour moi quand je vous rendais visite, je tendais le verre d’eau, la coupe de café miniature, le morceau de pastèque, je versais le thé dans la tasse que vous me tendiez. Voilà pourquoi en ce soir d’automne 2020 j’éprouvais le besoin de revivre cette rencontre œcuménique qui me fit vous demander de venir.

Mais vous n’êtes pas venus.

Sur vos petits messages, quelques signes. « Excuse-moi, je suis très pris », « excusez-moi je ne peux pas », « désolée, une autre fois », « désolé, suis malade ».

Vous n’êtes pas venus. Je sais pourquoi.

A moi d’interpréter. A moi de comprendre.

Pris, vous l’étiez. Par le désespoir.

Vous ne pouviez bouger. De sidération.

Désolés l’étiez-vous d’un tel gâchis.

Malades à vomir. Malades de honte qu’au nom de votre religion on assassine.

Venir pour parler, vous ne le pouviez. Vous aviez perdu les mots. Envolée la parole.

L’assassin, en décapitant un professeur d’histoire et de géographie devant le collège de Conflans – Sainte – Honorine où il enseignait, ce vendredi 16 octobre 2020 à 17 heures, au nom d’Allah, vous avait tranché la gorge à vous aussi.

Nous sommes tous sans voix. Pétrifiés. Sidérés. Horrifiés. Une fois encore l’islamisme politique assassine sur le sol de France.

Il faut oser dire jamais plus.

Jamais plus un prêtre égorgé devant l’autel pendant la messe dans l’église de sa petite ville de Normandie.

Jamais plus un chef d’entreprise décapité par son employé.

Jamais plus de journalistes défigurés au hachoir et douze autres assassinés.

Jamais plus quatre policiers déchiquetés au couteau.

Jamais plus quatre vingt six spectateurs d’un feu d’artifice fauchés par un camion et des centaines d’autres blessés.

Jamais plus cent trente sept morts descendus à la kalachnikov et quatre cent treize blessés lors d’un concert à Paris.

Jamais plus deux soldats tués, parce que français mais d’origine arabe donc renégats aux yeux du tueur.

Jamais plus des petits enfants mitraillés par le même tueur au sortir de l’école, parce que juifs.

Jamais plus au nom des autres qui connurent pareil sort et que je n’ai pas évoqués.

Ne rien faire, ne rien dire, ne pas s’insurger, c’est omettre.

Omettre, c’est regarder l’enfant se noyer sans lui tendre la main, c’est se détourner de l’homme jeté au sol et lynché à mort sur un quai de gare ou du policier désarmé, au sol, roué de coups sur un pont lors d’une manifestation. C’est rester les bras croisés à regarder des policiers brûlés vif dans leur voiture incendiée, c’est laisser la barbarie régner sur nos cités. Qui sont parfois les vôtres.

Plusieurs centaines de morts en sept ans. Au nom d’Allah et de l’Etat Islamique.

Face au bilan de la rencontre entre la France et les populations immigrées en France, d’obédience musulmane, certains tendraient à faire croire qu’elle est manquée, au vu des dérives d’individus d’une part radicalisés, mais plus souvent simples crapules formant une pègre vivant de trafics de stupéfiants, de voitures, d’armes, de vols de fret, d’attaques à main armée, qui terrorisent des quartiers entiers dont les populations souvent musulmanes sont les premières victimes, dont les enfants sont recrutés de force ou à coup de bakchich pour servir de guetteurs aux dealers, de porte-armes, petites mains qui grandissent dans la dérive criminelle, qu’ils ne sauront plus quitter.

Ne serait-il pas plus juste de parler de rencontre sapée par des organisations criminelles, du cercle vicieux de quartiers où l’on ne peut plus vivre normalement, où la réputation qu’en ont leurs habitants, est un handicap sur le plan de l’insertion sociale et dans la recherche d’emploi. C’est ainsi que le piège se referme sur ces populations.

L’origine du mal est plus complexe que de prétendre que la France ostracise. Rappelons à ceux qui auraient pu l’oublier ou qui n’ont jamais voulu le savoir, qu’en France chacun à sa place, autant qu’il veuille en avoir une, car l’école ouvre ses portes à chaque enfant et lui offre un enseignement gratuit qui lui permet pendant douze ans d’acquérir toutes les connaissances nécessaires pour s’insérer dans la société, apprendre un métier, qu’il vive à Rennes, Reims, Rouen, Riquewihr ou Rabat-les-Trois-Seigneurs, qu’il soit né en France, au Vietnam, au Liban, au Chili ou en Ecosse.

Pour permettre cette intégration, les enfants doivent pouvoir aller à l’école, les femmes doivent avoir le droit de sortir de chez elle, de travailler, d’avoir des amies en dehors de leur chapelle, de vivre non pas comme des recluses, des sans voix, dans un clan patriarcal mais comme des citoyennes françaises, avec tous les droits et les devoirs que les citoyens et les citoyennes de ce pays ont.

Faut-il alors écrire, hélas, mille fois hélas, que des zones entières de non droit sont apparues en Île de France, dans les métropoles du Nord de la France, de Marseille, puis peu à peu dans toutes les métropoles. Là où le seul droit qui y règne est celui du radicalisme et de la pègre.

Sont-ils définitivement engloutis ces « territoires perdus de la République », ainsi que Brenner nommait son livre paru en 2002, ou que la cause de bien des maux est « La France malade de l’islamisme » ouvrage de Mohamed Sifaoui, paru en 2002 également.

Peut-être. Dix huit ans plus tard l’état des lieux est cent fois plus accablant. Echec devant l’avancée de l’intégrisme et de la criminalité qui étrangement s’entendent comme larrons en foire.

Pour ceux qui ne voient dans la France qu’une Babylone pècheresse à abattre, je dirais que nul n’est sommé de venir vivre en France, pas plus qu’on est obligé d’y rester, qu’on y soit né ou venu plus tard, ou même d’en conserver la nationalité, qu’elle soit de naissance ou acquise de plein gré. Que l’on veuille retrouver la terre de ses ancêtres, beaucoup l’ont fait ici et ailleurs. Les descendants d’Allemands partis en Russie sous le règne de la tsarine Catherine II au 18e siècle sont revenus en Allemagne autour des années 1990, leur vie dans les régions devenus indépendantes entre la Chine et la Russie après l’éclatement de l’URSS étant devenue difficile comme habitants non musulmans dans des états se proclamant islamiques. Les terres de l’Islam sont nombreuses, vastes et parfois peu peuplées. Que ceux qui en ont la nostalgie y aillent ou y retournent.

Musulmans de France ayez le courage de vous montrer, de clamer que vous ne voulez pas être vus comme des complices des assassins, puisque vous ne l’êtes pas. Formez une grande vague d’allégeance proclamée aux valeurs humaines. Trop de traces de sang innocent maculent le sol français, dont le vôtre.

Dîtes non à ceux qui usurpent le nom de Dieu pour répandre l’inhumain, l’horreur, l’inconcevable. Eux qui sont gavés de haine à en perdre l’esprit.

Dîtes-le, écrivez-le, professez-le mais faites-vous entendre, pour endiguer le flot de violence qui sabre les vies d’innocents dans notre pays. Proclamez-le comme le fait Tareq Oubrou, Imam de la grande mosquée de Bordeaux, (qu’il me permette de le citer) :

« Je suis abattu parce que c’est un acte inqualifiable qui est perpétré au nom d’une religion qui n’a rien à voir avec un acte ignoble… doublement affecté, en tant que citoyen, en tant que musulman. Il n’y a aucune guerre des civilisations. Il y a des actes qui n’incombent qu’aux hommes qui les ont perpétrés. C’est un péché mortel, capital que de tuer une personne comme ça, d’égorger comme ça… la religion, de par son essence, est la transcendance et l’altérité».

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